Pascal Demurger : « La crise a remis l’humain au centre »
Le directeur général de la Maif défend une vision différente du rôle de l’entreprise. Il est, ce soir, l’invité d’une conférence en ligne du groupe Nice-Matin diffusée en live sur nos pages Facebook
Assureur militant. » Pascal Demurger, directeur général de la Maif, tient à ce que ses actes soient en phase avec le slogan de la structure qu’il dirige. Un patron atypique, convaincu que les entreprises qui sauront cultiver leur singularité sortiront plus fortes de la crise. Ce soir, Pascal Demurger est l’invité d’une conférence en ligne du groupe Nice-Matin diffusée à partir de 18 heures sur nos pages Facebook.
Début avril, vous avez décidé de rembourser cent millions d’euros à vos sociétaires. Pourquoi ce choix ?
J’avais posé deux principes au début de la crise : donner la priorité absolue à la protection physique mais aussi financière de nos salariés et ne pas tirer un quelconque bénéfice de cette crise. J’ai ainsi décidé de rembourser une partie de la prime auto de nos sociétaires, considérant que le confinement entraînait une baisse de à % du nombre d’accidents. Le montant estimé de l’économie réalisée était un peu supérieur à cent millions d’euros. J’ai pris la décision de restituer cette somme en ouvrant la possibilité aux sociétaires de reverser le montant remboursé à trois organismes d’intérêt public ().
Le fait que vous n’assuriez pas d’entreprises explique-t-il cette décision ?
Cela correspond avant tout à notre philosophie. La Maif est une entreprise qui se distingue par ses engagements sociétaux. L’accueil de cette mesure a été extraordi-nairement positif, et même enthousiaste, en interne. Nous avons reçu des centaines de message de la part de nos salariés exprimant leur fierté de travailler à la Maif. Nos concurrents, que j’ai pris le soin d’appeler, ont tous reconnu que c’était parfaitement cohérent avec nos engagements traditionnels. Cette contribution correspond à notre résultat annuel. Je ne suis pas sûr que tous les assureurs aient fait un geste de cet ampleur.
Cette décision n’était-elle pas prématurée ? Vos concurrents expliquent qu’il faudra attendre la fin de l’année pour évaluer l’impact précis de la crise...
Je n’ai aucun regret. C’était bien de le faire à ce moment-là. Comme tous les autres assureurs, nous aurons une augmentation de la sinistralité pour certains contrats. Même si nous n’assurons pas d’entreprises, nous avons des contrats qui couvrent les pertes d’exploitation, notamment dans le monde associatif. Certains secteurs économiques sont beaucoup plus impactés que nous. Il est normal que l’assurance, dont c’est le rôle social, assume un coût important face à une crise de cette nature.
Le tribunal de commerce de Paris a condamné, vendredi, Axa à indemniser un restaurateur au titre des pertes d’exploitation. C’est une décision importante ?
Sur un plan juridique, c’est une décision de première instance pour laquelle Axa a fait part de son intention de faire appel. Elle concerne un contrat particulier. Or, il en existe beaucoup avec des garanties différentes. Sur un plan plus politique, ce jugement va renforcer la pression du monde de la restauration sur les assureurs.
Les assureurs ont été accusés de ne pas assez jouer le jeu. Leur réponse est-elle aujourd’hui à la hauteur de l’enjeu ?
Je pense qu’elle l’est assez largement, avec encore une forte réticence à indemniser les pertes d’exploitation. Celles-ci sont de l’ordre
‘‘ de soixante milliards d’euros, et les assureur, à eux seuls, ne peuvent pas assumer ce coût. Mais cette réponse a été trop tardive, et pas suffisamment puissante sur un plan symbolique. Il y a eu des initiatives significatives, notamment l’abondement à hauteur de millions d’euros par les assureurs du fonds de soutien gouvernemental aux petites entreprises, mais il n’y a eu aucune mesure globale. Du coup, les actions des assureurs sont relativement invisibles.
L’Etat engage des milliards pour sauver l’économie.
A-t-il bien réagi à cette crise ?
Cette réaction, d’une ampleur inédite, est totalement à la hauteur, à commencer par le confinement jusqu’aux mesures d’accompagnement économique, notamment le chômage partiel. Reste, quand même, la question de la conditionnalité de ces mesures. Il est légitime que l’Etat pose des conditions, par exemple sur le partage de la valeur ou les orientations stratégiques des entreprises aidées. Je trouverais bienvenu que l’Etat fixe par exemple des conditions sur l’orientation environnementale de la production.
Sur l’enjeu environnemental, cette crise est un nouveau révélateur ?
Je le pensais avant la crise. Elle accélère ce mouvement en nous montrant, en premier lieu, que nous sommes terriblement vulnérables. Cela peut aider à une prise de conscience.
Cette crise a inversé les priorités traditionnelles. Le primat de l’économique a été remis en cause du jour au lendemain et l’humain est revenu au centre. Cela crée un précédent qui ouvre les esprits.
On parle beaucoup du « monde d’après ». N’y a-t-il pas un petit risque que rien ne change ?
C’est un grand risque ! On l’a déjà vécu après la crise de . Le seul moyen de juguler ce risque, c’est d’essayer de convaincre le plus grand nombre et d’obtenir une forme de pression sociale pour qu’on bascule effectivement dans un monde d’après différent.
milliards de pertes d’exploitation.”
‘‘
Les actions des assureurs sont relativement invisibles. ”
Vous même, qu’entendez-vous changer dans votre entreprise ?
Sur un plan opérationnel, nous nous sommes rendu compte qu’on peut faire fonctionner une entreprise de huit mille collaborateurs totalement en télétravail. Nous allons, sans doute, accélérer nos réflexions sur ce sujet, avec un minimum de régulation. On voit aussi que le digital est devenu le premier canal avec nos sociétaires. Il faut continuer à accélérer.
D’un point de vue plus stratégique, la crise conforte plutôt les orientations de la Maif. Nous sommes dans un modèle où on recherche plus une forme de résilience de long terme qu’une performance financière de court terme. Concrètement, cela conduit à privilégier l’agilité sur la puissance. La crise nous montre qu’il faut s’adapter très vite dans un monde incertain.
Pour renforcer sa résilience, l’entreprise doit aussi diminuer sa dépendance à une activité trop majoritaire. Il faut diversifier ses activités et ses publics.
Enfin, la question la plus importante est peut-être celle de la singularité du modèle.
La Maif fait de son engagement en faveur de la société et de l’environnement une source majeure de sa performance.
Et ça fonctionne.