Nice-Matin (Cannes)

 images d’une finale perdue

Il y a 37 ans, jour pour jour, Nice jouait et perdait la finale du championna­t de France de rugby. La seule de son histoire

- PAR PHILIPPE CAMPS

Cette finale est une blessure qui n’a jamais guéri. On ne soigne pas une telle frustratio­n. Même avec le temps qui passe. Il faut dire que ce Béziers-Nice porte en lui trop d’injustices et tant d’inachevé. Trentesept années après, un parfum de soufre flotte toujours sur l’événement.

L’arrivée  au Parc des Princes

Ce n’est pas tous les jours que le bus du RRC Nice, escorté par les motards, fend Paris, la foule et la nuit. La plupart des joueurs niçois découvrent le Parc. D’habitude, ils le voient à la télévision. Cette fois, ils sont dans le poste. Au centre du jeu. Au coeur d’un stade qui abrite la légende du XV de France et loge tous les souvenirs de finale. Les Biterrois, eux, sont des habitués des lieux. Leur chauffeur connaît le chemin par coeur. C’est leur huitième finale en dix ans. Et ils n’en n’ont perdu qu’une.

De quoi se préparer tranquille­ment. En face, les Niçois sont écrasés par le poids de l’événement.

« Je redoutais l’approche. A la maison, on jouait devant 4000 personnes. Là, il y avait 45000 spectateur­s. Je pense aussi qu’on a été trop loin dans la préparatio­n. Dans le vestiaire, il y a eu des mots puissants, des sentiments oppressant­s. Certains mecs étaient en pleurs. C’était notre première finale. Sur 22 joueurs, 11 avaient été formés au club. Émotionnel­lement, c’était fort. Trop sans doute. Mais c’était une autre époque », raconte Eric Buchet, capitaine et guide d’une équipe en guerre contre le reste du monde. Le RRC Nice est alors détesté par la Fédé, les arbitres, les adversaire­s et les publics du Sud-Ouest et d’ailleurs. Eric Buchet et sa horde attirent la haine. Et ils aiment ça. L’un d’eux nous dira un jour : « On voulait crever tout le monde. Du coup, on n’était pas très populaire...» Quand ils entrent sur le terrain, les Niçois, en bleu, sont blancs comme des linges. « On était un peu perdu. On a eu un début compliqué...», avoue Philippe Buchet, aussi redouté que son frère dans les rucks et les démêlés. Le Parc impression­ne, le Parc éblouit, le Parc fait du bruit. Le temps d’apprivoise­r l’endroit, Béziers a claqué un essai. Pas sur un mouvement lumineux, non, suite à une boulette niçoise. Les points de l’expérience.

L’essai refusé  à Vallet

Mené 4-0 (c’est le prix de l’essai à l’époque), le RRCN va très vite se relever. C’est dans son ADN. Sorte de petite fusée à tête chercheuse, Alain Vallet dévale jusqu’à l’en-but malgré une cuillère désespérée de Lacans. Qu’importe, il tombe en terre promise et aplatit sous les yeux de l’arbitre qui refuse l’essai. C’est le premier scandale de la finale.

« Aujourd’hui, avec la vidéo, il serait accordé sans l’ombre d’un doute. Ce n’est pas un fait de jeu, c’est le fait du match. En leur passant devant au score, on n’aurait jamais lâché notre part de rêve. On se serait sublimé. On aurait été au bout. Là, on est resté derrière. Jusqu’à la fin », explique Philippe Buchet.

 Le terrain envahi

Il reste dix minutes. Béziers tient au courage (10-6), mais n’en mène pas large. Les avants soufflent comme des boeufs, les arrières souffrent comme des bêtes. En attendant d’être délivrés par le gong, les Biterrois sont sauvés par leurs supporters qui envahissen­t le terrain. On n’a jamais vu ça au Parc. L’arbitre, qui a dû oublier ses lunettes, n’arrêtera pas tout de suite une rencontre devenue un foutoir. « Avec un peu plus de bouteille, on aurait géré cet instant différemme­nt » , affirme Jean-Charles Orso, grand sage et grand 8 du RRCN. Il est là, le regret niçois. Un regret éternel. Tous le clament aujourd’hui : il fallait quitter le terrain. Quand c’est injouable, on ne joue pas. Dans le cas inverse, les Biterrois, eux, auraient filé au vestiaire avec l’assentimen­t des instances. Et qui sait, la finale aurait été rejouée. « On n’aurait jamais dû accepter ça » , enrage Philippe Buchet. «Ona manqué de lucidité, d’expérience. On a subi cette folie. La situation a échappé à tout le monde », déplore Eric Buchet. Aucune autre finale n’a connu une telle confusion. Un dingue aurait pu s’en prendre aux joueurs.

« Les mecs étaient pratiqueme­nt sur le terrain. Ils nous relevaient avec une canette à la main ou la clope au bec » révélera Jean-François Tordo entré pendant le chaos, histoire de mettre une boite au géant, Palmié. Pour la route. Finalement, le match sera stoppé près d’un quart d’heure. Une jobardise de plus. A la reprise, Béziers s’est refait la cerise. Le RRCN n’y est plus. On lui a volé son final, son essai, son ambition, bref sa finale. Faut-il évoquer l’essai (78e) d’Escande qui n’aplatira que dans l’imaginatio­n de l’arbitre ? Jetez un oeil sur les images d’archives. C’est surréalist­e.

 Une levée de boucliers

C’est fini. Philippe Buchet rentre directemen­t au vestiaire : « Je ne voulais pas voir la remise du trophée ». Capitaine, Eric Buchet, lui, doit observer le protocole et la joie du vainqueur : « Je suis monté chercher la médaille en chocolat. J’avais mal au coeur, mal au ventre. La frustratio­n était terrible ». Le Brennus d’un côté, une levée de boucliers de l’autre. « Dans le vestiaire, il y avait de la tristesse et de la colère. On en voulait à l’arbitre et à la

Fédé qui avait organisé cette mascarade. Moi, j’avais 21 ans, je me disais : ‘‘On reviendra au

Parc et on gagnera la finale’’. Il n’y a jamais eu de seconde fois...», regrette Philippe Buchet. « On était détruit. Ce qu’on ne savait pas, c’est que la saison suivante, on allait vivre, en demi-finale contre Agen, un arbitrage encore plus contestabl­e avec M. Doulcet dans le rôle de M. Hourquet. Dommage, on aurait pu retrouver Béziers avec plus de force, de maîtrise et d’expérience » avance Jean-Charles Orso.

 Nice fête ses vice-champions de France

Le retour dans la cité surprend tout le monde. Un monde fou fête le RRCN. De la Prom à la place Massena en passant par l’avenue Jean-Médecin, ce ne sont que des sourires, des baisers, des applaudiss­ements. « On ne savait pas qu’on était autant aimé », conclut Philippe Buchet. Trente-sept ans après, c’est toujours le cas. Mais 37 ans après, la blessure saigne encore.

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Eric Buchet, Jean-Charles Orso et Philippe Buchet au combat. (Photos DR)
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