Nice-Matin (Cannes)

L’humoriste et comédien Guy Bedos est mort

Il y a 30 ans, jour pour jour, le barrage retour entre Nice et Strasbourg entrait dans l’histoire du club

- PAR PHILIPPE CAMPS

Il y a des matchs qui marquent une vie. C’est le cas de ce barrage retour entre le Gym et Strasbourg. Récit d’une journée folle et d’une nuit déraisonna­ble. C’était le 29 mai 1990.

Mini putsch à Thalazur

Personne dans les couloirs de Thalazur. Les joueurs font la sieste ou regardent la télé. Le Gym est au vert. C’est le calme avant la tempête. Jean-Philippe Rohr descend le premier à la collation. Il passe devant la salle de réunion et aperçoit le tableau où Carlos Bianchi a inscrit le onze de départ. « Là, surprise, je vois que Djelmas n’est pas titulaire. Je remonte illico dans ma chambre et j’appelle Mario Innocentin­i. Je lui dis : “Président, le coach n’a pas mis Milos. Sans lui, sans sa folie, on ne pourra pas inverser la tendance. Il doit jouer ! Appelez Bianchi...” Ce n’était pas un match normal, c’était donc un match pour Milos... Dans un bon jour, il était capable de tout. Le président m’écoutait. Là, il m’avait entendu. Ce n’était ni un caprice, ni de l’ingérence. Juste la certitude que l’équipe serait plus forte avec Djelmas », raconte Jean-Philippe Rohr, un caractère. Quand il redescend, le paperboard est nu. Le onze a disparu. Pendant la collation, certains croient entendre les mouches voler. Puis, c’est l’heure de la causerie. Elle sera surréalist­e. Carlos Bianchi aligne les titulaires sur le tableau : Morisseau, Mattio, Roy, Elsner, Bonnevay, Gastien, Rohr, Mazzuchett­i, Djelmas, Bocandé, Langers. Jean-Philippe Rohr sourit. Il est soulagé. L’entraîneur, lui, est blanc comme un linge. Il prend la parole : « Écoutez les gars, ce soir, après le match, je suis dehors, viré, à l’ANPE. Pour moi, c’est fini. A vous de voir ce que vous voulez devenir. Si vous voulez rester en 1re division ou descendre en 2e. A vous de jouer. Bon match. » C’est la causerie la plus rapide de l’histoire. « Je pense qu’elle n’a pas dépassé la minute », affirme JeanPhilip­pe Mattio. Les joueurs se regardent. Se lèvent. Et quittent Thalazur. « Moi, ça ne me dérangeait pas qu’il parle si peu. Encore moins qu’il soit limogé. Ça faisait des semaines que je ne le saluais même plus. On était quatre ou cinq dans ce cas. Surtout les cadres. Pour moi, Carlos Bianchi était un imposteur. Il n’assumait rien et tirait toujours la couverture à lui. Quand je vois la carrière et le palmarès qu’il a eus en tant qu’entraîneur, ça me paraît invraisemb­lable », lâche Jean-Philippe Rohr qui n’a jamais maquillé ses vérités.

Tactique dans une vieille Ford

Pas de bus sur le parking de l’hôtel. Les joueurs se rendent au stade avec leurs voitures. Bocandé, qui craint pour son bolide blanc, se glisse dans la Ford de Langers. « Sacré Jules, il s’est assis sur le siège passager et m’a dit : “Robby, je viens avec toi. Ta vieille caisse ne risque rien. Moi, si ça tourne mal, les supporters vont me casser la Porsche.” Pendant le trajet, on a bien sûr parlé du match : “Papy, je l’appelais Papy - dès que le ballon est en l’air, dévie-le vers le but. Tu sautes, je fonce !” C’est comme ça qu’on a inscrit le premier but. Ouverture de Jean-Philippe Rohr. Jules prolonge de la tête et je conclus. Jules prenait tout de la tête. Bref, ce but on l’a marqué dans ma voiture... » nous confiera Roby Langers.

Le match approche. Les joueurs sont dans les bouchons. L’autoroute est saturée. La sortie Nice-Nord est un cauchemar. Ça klaxonne à tout-va. L’heure avance. Pas les voitures. « Le quartier était noir de monde. C’était impression­nant. On est, tous, arrivé juste », expose JeanPhilip­pe Mattio. Tout Nice est monté au Ray. « Il y avait une attente folle autour de ce match. Comme si le Gym jouait sa vie. Et c’est vrai qu’on jouait gros. Tout le monde avait bien conscience que c’était un match clé pour l’histoire du club. C’était une finale. Un quitte ou double. La tension était énorme » ,se souvient Jean-Philippe Rohr. Ce jour-là, Nice-Matin avait titré : le Gym face à son destin.

Djelmas en feu, Langers en lévitation

Les Niçois n’ont pas oublié le tour d’honneur des Strasbourg­eois à la Meinau à l’issue du match aller (3-1). Ils ont la haine. « On avait été choqué et vexé. A 3-0, c’était mort, mais le but de Roby (Langers) nous laissait un peu de vie », explique Jean-Philippe Mattio. La suite appartient à la légende. Les Aiglons sont survoltés. Sur son côté droit, Djelmas est intenable, imprenable, inarrêtabl­e. Milos, le diabolique, incendie le Ray et l’Alsace tout entière. Bocandé explose la défense d’en face à grands coups d’épaule et d’accélérati­ons fulgurante­s. Langers, lui, est en lévitation. Il claque quatre buts en 40 minutes et grimpe au grillage de la Pop Sud comme on monte au paradis. C’est stupéfiant. Il n’y a qu’une équipe sur le terrain. A la mi-temps, le Gym a déjà tout renversé. Le Ray est un volcan qui a avalé Strasbourg, ses joueurs, son banc, son staff et son coach. Langers est en transe, le Ray est en furie. C’est une nuit de folie. Ce qui se passe sous nos yeux est surréalist­e. El Haddaoui et Bocandé donnent au score (6-0) une dimension mythique. «Que dire ? On était comme dans un rêve. Tout nous réussissai­t. C’est rare d’être onze au top en même temps pour un tel rendez-vous. Ce fut le cas. On s’était raté toute la saison. On avait de bons joueurs mais une mauvaise équipe. Le barrage a tout changé. Ces 90 minutes ont transformé un parcours cauchemard­esque en souvenir inoubliabl­e et fabuleux », confesse Jean-Philippe Rohr.

Les sanglots du coach

Il y a un monde fou dans le vestiaire du Gym. Ça pleure, ça rit, on s’embrasse, on s’enlace. Jacques Médecin est là. Il a la moustache qui frise et l’étreinte généreuse. Dans quatre mois, le maire de Nice s’envolera pour Punta del Este. Carlos Bianchi réunit quelques journalist­es dans une pièce minuscule. Il ferme la porte et éclate en sanglots. « On l’a fait, on l’a fait ! On a sauvé Nice », souffle-t-il entre deux spasmes. La scène est inoubliabl­e. A quelques mètres de là, Roby Langers déclare : « C’est le match de ma vie ». Les Niçois ne sont pas passés sous la douche quand Djorkaeff, Cobos et les autres quittent le Ray comme des zombies.

Nuit magique

La grande famille du Gym se retrouve sur le port de Saint-Laurent. À peine arrivés, Mattio et Mazzuchett­i passent pardessus bord. Un grand plouf ! Le coupable s’appelle Gilles Morisseau. Lui restera bien au sec. On ne s’approche pas d’une force de la nature. Les héros du soir dînent au Moorea. Chez Marcel Marro. Après le café, ils iront faire un tour au Grand Escurial. Les night-clubbers leur offrent une haie d’honneur. Mattio, Elsner, Djelmas et Gioria finiront chez l’ami Icardo. Il est 6 heures. «On était frit, bouilli. Marko et Milos dansaient. Je les entends encore dire à JeanFranço­is Icardo : “Maestro, musica !” On était si heureux », se rappelle Jean-Philippe Mattio. Quelle nuit mes amis...

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(Photos NM et DR) Roby Langers sur un grillage, sur un nuage. « Avec la naissance de mes enfants, Nice-Strasbourg est ce que j’ai vécu de plus fort dans ma vie », nous dira-t-il un jour.
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Rohr et Mattio (ici avec Bonnevay) ne peuvent pas oublier.

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