Affaire Rybolovlev : la vérité de l’expatron de PJ
L’ex-patron de la police judiciaire monégasque, inculpé dans l’affaire Rybolovlev contre Bouvier, parle pour la première fois. Il dénonce un acharnement sans preuves
Ex-patron de la police judiciaire monégasque, Christophe Haget, 53 ans, est inculpé des chefs de trafic d’influence passif, de violation du secret de l'instruction et de corruption passive. Et ce, dans l’affaire qui oppose Dmitri Rybolovlev, influent patron de l’AS Monaco, au marchand d’art suisse Yves Bouvier. Une escroquerie présumée liée à la vente de 37 tableaux de maîtres. Ce jeudi, la hambre du Conseil monégasque a rejeté la demande de nullité d’inculpation de Christophe Haget et celle d’autres inculpés. Pour la première fois depuis son inculpation, depuis laquelle il lui est interdit d’exercer ses fonctions de policier, l’ex-patron de la PJ parle, au côté de son avocat, Me Florent Ellia, du barreau de Nice. Il prend la parole aussi, alors que France 3 s’apprête à diffuser, le 10 juin, un témoignage du juge Édouard Levrault, qui a instruit le dossier et mis une bonne partie de la haute administration monégasque en examen (inculpation en droit monégasque). Juge qui n’a pas été renouvelé à son poste à l’été 2019.
Pourquoi prendre la parole maintenant ?
Ch. Haget : Si je sors de mon silence, c’est que c’est simple, clair, ça suffit ! Fin de la récréation ! J’en ai assez d’être insulté sur les réseaux sociaux, harcelé dans la presse. J’en ai marre qu’on attaque la police, c’est une institution respectable, qu’elle soit monégasque ou française. Marre des inepties racontées sur Monaco, sur le « tous pourris ». C’est incroyable. Fantasmagorique. Comme disait un de mes anciens directeurs de la sûreté publique : « Avec la vérité, on ne se trompe pas. » Je persiste et je signe, la police a bien fait son travail dans ce dossier, nous avons respecté le droit et la déontologie. Jamais personne ne pourra prouver le contraire. Là-dessus, le juge Levrault s’apprête à prendre la parole sur France (). Il prétend que le non-renouvellement de ses fonctions serait le fruit d’un complot visant à l’empêcher de mener à bien ses enquêtes.
Ce n’est pas le cas ?
Ch. Haget : Comment peut-il déclarer sérieusement [L’Obs du octobre, ndlr] qu’il a réalisé
« qu’à Monaco la justice devait être une institution qui arrange et non qui dérange » ? Que devonsnous comprendre ? Que tous les magistrats arrangeaient avant ?
Nous allons regarder cette émission pour voir si le secret de l’instruction est respecté, si son obligation de réserve l’est aussi. Les magistrats français et monégasques apprécieront. Quand il était ici, il a fait régner le régime de la terreur.
Un régime de la terreur ?
Ch. Haget : L’ambiance qui existait au palais de justice, quand le juge était en poste, était terrible. Une pression constante. Il a entendu des policiers, des magistrats, des greffiers. C’est la technique de l’entonnoir, de l’enquête psychologique. Vous cherchez non pas à confronter des individus à des faits mais à demander aux individus ce qu’ils pensent des autres.
Quels enseignements en tirez-vous ?
Ch. Haget : L’acharnement de ce juge envers moi et les autres inculpés est maintenant avéré eu égard à ses déclarations dans la presse. En ce qui me concerne, ce harcèlement date du dossier Carpinelli où j’avais osé lui donner mon avis, en contradiction avec ce qu’il disait. Là, j’avais compris que ne pas être d’accord avec lui c’était être considéré comme déloyal. Je n’ai jamais vécu cela de toute ma carrière, et des grands magistrats, j’en ai rencontré.
La chambre du Conseil maintient pourtant les poursuites contre vous, malgré son départ...
Ch. Haget : Oui, les poursuites sont maintenues. Je m’y attendais et j’ai mes raisons pour cela.
Me Ellia : Dans cette affaire, on a parlé de proximité, puis cela a abouti au trafic d’influence, aux manigances, aux ententes. Pendant ce temps, qu’a fait Christophe Haget ? Son travail de flic. Des investigations sur des faits concrets, matériellement avérés. Il ne l’a pas fait seul, mais en tant que superviseur de son enquêteur dans le cadre légal d’une procédure judiciaire commandée par le procureur général.
Pour quelle raison s’acharnerait-on sur votre client ?
Me Ellia : Dans ce maelstrom judiciaire et médiatique, mon client est éclaboussé par une stratégie de défense qui n’a pour but que d’enfumer le dossier initial de plainte.
Ch. Haget : Cette stratégie n’aurait jamais été rendue possible si le secret de l’instruction avait été préservé et respecté. On est dans la livraison systématique de presque tous les éléments d’instruction. Il suffisait que j’ouvre les journaux pour lire les rapports, les auditions, les SMS. Dans la presse, nous étions dans le cabinet de M. Levrault. Deux ans de charges médiatiques ! Et, face à ça, il n’y a que notre plainte du août pour violation du secret de l’instruction, toujours en cours, malgré un parcours du combattant. Et nous irons au bout. Il ne me semble pas avoir jamais vu de la part du cabinet de M. Levrault un acte rappelant à l’ordre les parties civiles sur cette violation. Comme tout juge d’instruction le fait.
Où en est votre client ?
Me Ellia : Il a été inculpé et n’a jamais été entendu sur le fond ! Il a fallu attendre dix-sept mois pour que la chambre du Conseil rende une décision. Nous avons déposé une requête en nullité. Dans ma carrière, j’ai souvent vu des procureurs généraux contester les demandes que je formulais. Dans ce dossier, le parquet général a conclu à la nullité de l’interrogatoire de première comparution car le juge n’a notifié aucun fait à mon client. Jeudi, la chambre du Conseil a pourtant rejeté notre requête et les conclusions du parquet général.
Qu’attendez-vous désormais ?
Me Ellia : Nous voulons avoir affaire à des professionnels qui respectent nos droits. Pas plus. Pas moins. Nous voulons avoir des assurances de l’institution judiciaire. Nous posons des questions, nous aimerions qu’on y réponde. On cloue au pilori l’honnêteté de mon client. De quoi a profité Christophe Haget ? Où sont les éléments ?
On lui reproche d’avoir bénéficié de places en tribune d’honneur au stade Louis-II...
Me Ellia : Dans ses fonctions, mon client rentrait au Louis-II avec ses badges, quand il coordonnait des actions de sécurité. Il ne rentrait jamais au Louis-II dans la tribune VIP. Et n’allait pas au salon présidentiel manger des petits fours. Il y a un déversement d’invitations auprès de l’intégralité des administrations monégasques qui existait depuis longtemps avant le président actuel de l’ASM. On n’a pas inventé une pratique consistant à acheter des policiers avec des places de football à partir de janvier .
Vous êtes aussi inculpé sur la base de SMS. Ils laisseraient entendre, selon vos accusateurs, qu’il y a collusion avec le clan Rybolovlev ?
Me Ellia : Cela ne fait pas partie des chefs de prévention relatifs au trafic d’influence ou à la corruption, donc ça ne fait pas partie des ententes ni des collusions. La portée des SMS en question sert uniquement, et en ce qui concerne un ou deux d’entre eux, à tenter d’appuyer l’inculpation du chef de violation du secret d’enquête. Des SMS, dont sur , sont reçus et non pas envoyés ! Nous ne pensons pas que les charges demeureront à l’issue de l’instruction.
Ch. Haget : Mme Bersheda
() serait devenue directrice de la police judiciaire ? Fantasme ! Le fait que nous ayons été prévenus, par la partie civile, de la venue de M. Bouvier, c’est une pratique courante validée par tous les tribunaux. Et encore rappelée récemment par le parquet général dans ses conclusions. On avait ordre d’interpeller M. Bouvier dès le février.
Comment voyez-vous l’avenir ?
Ch. Haget : Je suis déterminé à me battre. Depuis août , ma carrière s’est arrêtée. Les gens qui me connaissent savent que je suis incapable d’avoir fait ce qu’on me prête. J’ai perdu mon positionnement dans la sûreté publique, ma vie de famille a été bouleversée. On ne baissera pas les bras. Devant un tribunal correctionnel je n’ai aucune crainte. Mais que de dégâts humains d’ici là !