« La dénonciation du clientélisme marseillais s’accélère depuis »
Constat du sociologue Cesare Mattina (Aix-Marseille Université) alors que des soupçons de fraude aux procurations planent sur les municipales
Pour le sociologue Cesare Mattina, chercheur du laboratoire méditerranéen de sociologie d’Aix-Marseille Université, « la dénonciation du clientélisme marseillais s’accélère depuis les années 2000 ». Ce processus se double, aujourd’hui, d’une « désertion d’une partie de l’électorat de Jean-Claude Gaudin », dont l’« héritière » Martine Vassal (LR), candidate à la mairie, pâtit aujourd’hui, poursuit l’auteur de Clientélismes urbains. Gouvernement et hégémonie politique à Marseille.
D’où vient cette réputation de clientélisme qui colle à la ville de Marseille ?
Il faut casser le cliché méditerranéen du clientélisme qui serait le fait de la culture du Sud. C’est plutôt une pratique institutionnelle liée à une augmentation des ressources publiques au début du XXe siècle dans toutes les villes de France, qui ont permis aux mairies de « fidéliser » leur électorat par l’attribution de logements, d’emplois... A Marseille, ça a pris de l’ampleur avec le « socialisme municipal » sous Henri Tasso (maire de à ).
La deuxième ville de France ne gagne quasiment pas d’habitants. Cela se traduit-il par une certaine inertie de l’électorat ?
Non, car il y a quand même des départs et des arrivées. A Marseille, ce qui bloque le système c’est la ségrégation spatiale (à l’exception du centre-ville) : le Sud plutôt riche et le Nord assez paupérisé. Cette stabilité sociale est renforcée par le système d’élection par secteurs [mis en place en , ndlr], donc depuis Gaston Defferre (maire socialiste de -) les maires peuvent mobiliser un certain type de groupe social à voter pour eux.
L’arrivée en tête au premier tour d’une coalition de gauche inédite, Le Printemps marseillais, ne marque-t-elle pas le rejet de ce vieux système politique ?
Il faut être extrêmement prudent car on a eu un record d’abstention absolu au premier tour [, %, ndlr]. Mais quelques signaux montrent qu’il y a une désertion d’une partie de l’électorat de JeanClaude Gaudin [maire de Marseille depuis , ndlr]. Cela s’explique notamment par la série d’enquêtes judiciaires, visant, entre autres, [l’ex-président du conseil départemental] Jean-Noël Guérini, qui, même s’il s’agit d’un ancien socialiste, a pu dégoûter l’électorat, mais aussi par une mauvaise gestion de la mairie. Il est devenu évident qu’il y a un abandon total des services publics. Le drame de la rue d’Aubagne, mais aussi le scandale des écoles, des piscines, ont contribué à alimenter des rhétoriques de dénonciation qui s’accumulent. Par ailleurs, la dénonciation du clientélisme marseillais s’accélère depuis les années .
Que pensez-vous du climat de l’élection en cours, et notamment des accusations de fraude ?
Les campagnes ont toujours été tendues à Marseille, et chacun essaie de « bourrer les urnes ». En , quand Jean-Claude Gaudin et Gaston Defferre ont terminé au coude-à-coude, il y a eu beaucoup de recours et de dénonciations de fraude. Mais on ne va jusqu’au bout de la contestation judiciaire que si on peut gagner ; ce qui est un aveu de la normalité de la pratique. Le délit de corruption électorale est quasiment impossible à prouver, du fait du secret de l’isoloir.