Nice-Matin (Cannes)

« J’ai la nostalgie »

- PHILIPPE CAMPS

Bati Gentili était le genre de joueur avec qui il était bon de partir en mission comme à la guerre. Milieu tout temps, tout terrain, il pouvait jouer  ou  avec la même facilité. Il aimait le ballon, les duels et les matchs à haute températur­e. Aujourd’hui, il est en paix, sur son île. L’occasion rêvée d’écouter ses souvenirs niçois.

Bati, ta vie aujourd’hui ?

C’est la Corse. Je vis à Ajaccio, chez moi. On peut dire que je suis en semi-retraite. Je suis toujours ouvert à un projet pour redevenir entraîneur ou directeur sportif, mais c’est compliqué. J’aide mon épouse qui a une petite agence immobilièr­e. Faute de propositio­ns, j’ai mis le foot entre parenthèse­s. Dans l’idéal, j’aurais aimé terminer mon parcours en Corse. A l’ACA où j’ai débuté le football et où j’ai travaillé à la profession­nalisation du club. C’est ainsi. Mais ça me manque.

Raconte-nous ton arrivée au Gym ?

Markovic m’avait vu jouer avec la sélection corse en lever de rideau d’un de ces fameux Bastia-Nice. À l’époque, le président de mon club, l’ACA, Antoine Federicci était très ami avec le président du Gym Roger Loeuillet. Le lien était fait. C’est comme ça que je suis arrivé à Nice en . J’avais  ans et demi. Le centre de formation n’étant pas construit, je dormais en face des terrains d’entraîneme­nt à l’auberge de la Pépinière. Vlatko Markovic m’a très vite intégré au groupe pro. Mais le dimanche, je jouais avec l’équipe réserve.

A Nice, tu as rencontré des légendes...

C’est simple, quand le coach m’a dit : ‘‘Tu viens faire le stage avec nous à Saint-Martin-Vésubie’’, je me suis pincé. C’était un rêve. Baratelli, Katalinski, Huck, Jouve, Guillou... J’étais au milieu des stars. Dans les années , Nice c’était quelque chose. Le top niveau. Je m’étais amusé à compter les internatio­naux français et étrangers : il y en avait .

Lequel t’impression­nait ?

Roger Jouve était peut-être le plus doué. Par rapport à l’idée que je me faisais du football, il représenta­it le joueur parfait. La classe, la finesse, la technique. Il n’était peut-être pas le plus médiatisé, le plus coté, mais, moi, je l’admirais. Jouve, Huck, Guillou, Bjekovic, Katalinski... tous les jours j’en prenais plein les yeux. Pour moi, ces joueurs étaient des monuments.

‘‘Bati, tu fais la gueule ?’’ Une anecdote ?

Un jour, à l’entraîneme­nt, Katalinski ne m’avait pas ménagé. Il m’avait même sacrément engueulé. Dans le vestiaire, après la séance, il me dit : ‘’Bati, tu fais la gueule ?’’ Je lui réponds séchement qu’il n’a pas à me parler comme ça. Du coup, il m’a invité, le midi, au restaurant. On a mangé en tête à tête. Là, j’ai compris qu’il m’aimait bien et qu’il me poussait à aller plus haut. Après, il m’a pris sous son aile. J’ai même été le seul jeune invité à son mariage à Antibes. Il m’apprenait à tirer les coups francs. Avoir un guide comme lui, c’était extraordin­naire. Sous son air méchant, il avait un grand coeur.

Ton premier match enpro?

J’ai été freiné par l’armée et par une blessure suivie d’une opération (rupture du droit antérieur). Mon premier match officiel et titulaire, je le joue à Nantes, saison -. C’est Albert Batteux qui me lance à Marcel-Saupin. On en prend cinq.

-, ça ne s’oublie pas...

Un but ?

Nice-Monaco, saison -, j’ouvre le score. Je trompe Ettori. C’était mon premier but sous le maillot niçois. Inoubliabl­e. C’était une fierté de jeune. Mais on avait perdu -.

Au Gym, tu as connu le sommet, les stars, mais aussi la dégringola­de...

A Nice, j’ai tout connu. La Pépinière, l’ouverture du centre, les grands joueurs, la cassure, la valse des entraîneur­s. Là-bas, je me suis fait des amis et des souvenirs. On n’a pas gagné grand-chose, mais on a passé beaucoup de bons moments.

Ton meilleur ami ?

Henri Zambelli. C’est mon frère. Une amitié de  ans. Tiens, dans quelques jours, il vient me voir en Corse et on ira faire du bateau. Henri, c’est un homme de valeurs. Un mec bien.

Le plus chambreur ?

René Bocchi. Mais c’était toujours drôle, intelligen­t, fin. J’adore René.

Le plus méchant ?

Pedro Ascery et Patrick Bruzziches­si. ‘‘Bruzzi’’ n’avait peur de rien, ni de personne. Dans le couloir qui menait au terrain, il était très fort pour intimider l’adversaire. A l’intox, c’était le meilleur.

Un adversaire ?

René Girard. C’était un drôle de client. Très dur. Avec lui, les duels étaient musclés. Mais on se respectait. D’ailleurs, après, on est devenu très potes.

Un moment chaud ?

Lors d’un Bastia-Nice, je m’accroche avec Paul Marchioni qui, aujourd’hui, est l’un de mes meilleurs amis. Là, Desvignes me lance : ‘‘Oh Gentili, ici tu fais pas la langue...’’. Je lui ai répondu : ‘‘Ici, c’est la Corse, c’est chez moi, si tu veux on se donne rendezvous dans le vestiaire.’’

Ça n’a pas été plus loin. A l’époque, Furiani, c’était bouillant.

‘‘Petit Gentili, tu connais Platini ?’’ Le coach qui t’a marqué ?

Markovic. Sous sa carapace, il avait du coeur, mais ne savait pas le montrer. Il était dur et exigeant avec tout le monde. Moi, il m’aimait bien. Mais ça ne l’empêchait pas d’être cinglant. Je me rappelle encore d’une causerie lors de son retour aux commandes (saison ). Avant un match face à Saint-Etienne au Ray, il me dit : ‘‘Petit Gentili, tu connais Platini ? Ce soir, c’est toi qui vas le prendre au marquage. S’il est bon, tu peux faire tes valises et rentrer chez toi en Corse’’. Avec le recul, je me dis qu’il avait confiance en moi. Il me sentait capable de défendre sur Platini qui était alors le meilleur joueur de France et même d’Europe. Mais sur le coup, j’ai ressenti une drôle de pression. Heureuseme­nt pour moi, ça ne s’était pas mal passé. Pourtant, Platini c’était vraiment un joueur d’exception. Il était ami intime avec le ballon. Markovic avait l’expérience, le savoir. Il connaissai­t le foot. Hélas, la barrière de la langue ajoutée à une psychologi­e plutôt raide a fait que certains ne le supportaie­nt pas. En plus, il s’était mis le public à dos. Bref, il passait pour un dictateur. Chez les coachs, je n’oublie pas Koczur Ferry qui était notre papa.

Tu te sentais bien à Nice ?

Quand je quittais la Corse, ma mère pleurait de chagrin, quand je revenais, elle pleurait de joie. J’arrive sur la Côte en . Au bout de deux-trois mois à Nice, elle m’appelle : ‘‘Bati, tu es si bien à Nice ? On ne te voit plus. Tu ne veux plus venir ou quoi ?’’ Oui, j’étais bien à Nice. Je me suis intégré facilement. Certes, je fréquentai­s un paquet de Corses, mais la vie niçoise me plaisait. Je vais t’avouer une chose : j’ai la nostalgie de Nice. La ville me manque. Et puis le Gym, c’était mon club. J’aime ce maillot rouge et noir.

Pourquoi avoir quitté Nice pour Cannes ?

Parce que je me suis senti trahi par les dirigeants, par l’entraîneur (Jean Serafin). J’ai mal vécu cette période.

‘‘D’abord, où est Monsieur Markovic ?’’ Tu peux nous en dire plus ?

Les problèmes ont commencé lors de la saison -. On était mal au classement. Le public du Ray demandait la tête de l’entraîneur. Un jour, les dirigeants convoquent les joueurs au Parc des Sports. Un à un, on devait juger le coach (Markovic) devant le président (Innocentin­i), le secrétaire général (Matteudi) et une adjointe du maire, Jacques Médecin. Quand arrive mon tour, je commence par refuser de m’asseoir face à eux.

A la question, que pensezvous de l’entraîneur ?

Je leur dis : ‘‘D’abord où est monsieur Markovic ? Il n’est pas là ? Donc je ne parle pas de lui. Mon père m’a toujours enseigné de ne jamais dire du mal des gens dans leur dos.’’ Et je suis parti. Les dirigeants l’ont très mal pris. Ils étaient furieux. Moi je sentais qu’ils voulaient surtout se servir de nous pour mettre Markovic à la porte. Ça ne me plaisait pas. A tel point que j’avais prévenu le coach de ce qui se tramait. Il a été remplacé par Marcel Domingo. La suite a été catastroph­ique. On ne faisait plus rien, ni à l’entraîneme­nt, ni en match. On tombe en D et le club me place sur la liste des transferts.

Pourtant, tu ne pars tout de suite...

Bastia me propose de signer. Je suis d’accord. Mais Nice demandait  millions pour racheter ma dernière année de contrat. Le club ne me voulait plus, mais il voulait de l’argent. Du coup, je suis resté. Mais les dirigeants m’avaient pris en grippe et moi je ne leur faisais plus confiance. On me traitait mal. Je me suis accroché et j’ai gagné ma place au milieu. Serafin me faisait jouer, le président voulait me faire resigner. Et un jour, il y a la cassure. La veille d’un match face à l’OM, au Ray, le coach me dit : ‘‘Bati, tu es en forme, mais je vais te ménager. Demain, tu seras sur le banc.’’ Je n’en n’avais pas dormi de la nuit. Je suis rentré en seconde mi-temps. J’avais été bon. A la fin, Jean Serafin s’est approché de moi. J’étais meutri. Je lui ai dit : ‘‘Ne me parlez pas. On finit la saison et ciao’’. Après, Courbis m’a proposé de signer à Toulon, Lyon m’a fait une propositio­n, mais j’avais donné ma parole à Guillou. Je suis donc allé à Cannes. C’est comme ça que mon aventure niçoise s’est finie.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France