Retraites, saison II
Si gouverner, c’est choisir entre des inconvénients, le dossier des retraites en est un exemple chimiquement pur.
On s’en souvient : le mars, en même temps qu’il annonçait le confinement du pays, Édouard Philippe suspendait la réforme qui venait tout juste d’être adoptée par les députés, au forceps du -. Suspendre ne veut pas dire abandonner. C’était un cessez-le-feu, pas la fin des combats. Il était écrit que le projet qui avait déchiré le pays pendant quinze semaines reviendrait un jour sur le tapis. Rien n’indique qu’il ait perdu de sa capacité à embraser les esprits. Car si le texte ressort inchangé du congélateur, les circonstances, elles, ont profondément changé. En mal. Et les conditions politiques et économiques sont moins propices que jamais à un débat apaisé.
On attendait avec curiosité de connaître les intentions du chef de l’État. Après quelques déclarations d’un flou assumé – en gros, on ne lâche pas l’affaire, la réforme aura bien lieu, mais pas la même –, les récentes déclarations de Jean Castex ont un peu éclairci le paysage.
Entre deux maux – enterrer le dossier, c’est-à-dire laisser filer les déficits et faire son deuil d’une réforme considérée comme la mère de toutes les réformes, le marqueur du quinquennat, ou au contraire remettre l’affaire en chantier, au risque de raviver les plaies – le président de la République a manifestement choisi le second. Charge au nouveau Premier ministre et à sa ministre du Travail, Élisabeth Borne, de jouer les démineurs.
Éluder la question serait « irresponsable » ,a martelé Jean Castex. Cela dit une détermination. Mais avec un changement de taille par rapport à la séquence Philippe-Buzyn : si l’on a bien compris, l’idée est de disjoindre la réforme dite « systémique » (le futur régime universel), remise à plus tard, de celle du financement, rendue urgente par l’effondrement de la croissance. D’après les calculs du Conseil d’orientation des retraites, le déficit du système devrait approcher cette année les milliards d’euros : sept fois plus qu’attendu avant la crise du coronavirus. Le mot d’ordre, comme il se doit, est
« concertation ». « Je vais rouvrir le dialogue avec toutes les organisations syndicales, et nous nous mettrons d’accord sur une méthode et un calendrier », assure le Premier ministre.
Le hic, c’est que les partenaires sociaux, Medef et syndicats pour une fois à l’unisson, ne sont pas, mais alors pas du tout pressés de remettre le couvert. « La priorité, c’est l’emploi », dit Laurent Berger (CFDT).
Le patron des patrons : « L’urgence absolue, c’est la relance. »
Bref, comme le dit le n° de la CGPME, personne n’a très envie de « reprendre les hostilités ». Ni sur le régime universel (donc régimes spéciaux, régimes autonomes et autres points de conflits toujours à vif), ni sur les mesures financières d’urgence, forcément douloureuses. Quels patrons sont pour un relèvement des cotisations ? Quel syndicat acceptera de gaieté de coeur une augmentation du nombre de trimestres ? Autant demander aux dindes de voter pour Noël, comme disent les Anglais. La saison II de la bataille des retraites sera-telle aussi mouvementée que la saison I ? Déjà, la CGT appelle à la grève générale pour la rentrée. Cela donne le ton. À moins que Jean Castex ne montre des talents de négociateur hors pair. Ou que la gravité de la situation ne révèle chez les partenaires sociaux un goût du compromis qu’on ne leur soupçonnait pas. On peut rêver.