Nice-Matin (Cannes)

Retraites, saison II

- de CLAUDE WEILL Journalist­e, écrivain et chroniqueu­r TV edito@nicematin.fr

Si gouverner, c’est choisir entre des inconvénie­nts, le dossier des retraites en est un exemple chimiqueme­nt pur.

On s’en souvient : le  mars, en même temps qu’il annonçait le confinemen­t du pays, Édouard Philippe suspendait la réforme qui venait tout juste d’être adoptée par les députés, au forceps du -. Suspendre ne veut pas dire abandonner. C’était un cessez-le-feu, pas la fin des combats. Il était écrit que le projet qui avait déchiré le pays pendant quinze semaines reviendrai­t un jour sur le tapis. Rien n’indique qu’il ait perdu de sa capacité à embraser les esprits. Car si le texte ressort inchangé du congélateu­r, les circonstan­ces, elles, ont profondéme­nt changé. En mal. Et les conditions politiques et économique­s sont moins propices que jamais à un débat apaisé.

On attendait avec curiosité de connaître les intentions du chef de l’État. Après quelques déclaratio­ns d’un flou assumé – en gros, on ne lâche pas l’affaire, la réforme aura bien lieu, mais pas la même –, les récentes déclaratio­ns de Jean Castex ont un peu éclairci le paysage.

Entre deux maux – enterrer le dossier, c’est-à-dire laisser filer les déficits et faire son deuil d’une réforme considérée comme la mère de toutes les réformes, le marqueur du quinquenna­t, ou au contraire remettre l’affaire en chantier, au risque de raviver les plaies – le président de la République a manifestem­ent choisi le second. Charge au nouveau Premier ministre et à sa ministre du Travail, Élisabeth Borne, de jouer les démineurs.

Éluder la question serait « irresponsa­ble » ,a martelé Jean Castex. Cela dit une déterminat­ion. Mais avec un changement de taille par rapport à la séquence Philippe-Buzyn : si l’on a bien compris, l’idée est de disjoindre la réforme dite « systémique » (le futur régime universel), remise à plus tard, de celle du financemen­t, rendue urgente par l’effondreme­nt de la croissance. D’après les calculs du Conseil d’orientatio­n des retraites, le déficit du système devrait approcher cette année les  milliards d’euros : sept fois plus qu’attendu avant la crise du coronaviru­s. Le mot d’ordre, comme il se doit, est

« concertati­on ». « Je vais rouvrir le dialogue avec toutes les organisati­ons syndicales, et nous nous mettrons d’accord sur une méthode et un calendrier », assure le Premier ministre.

Le hic, c’est que les partenaire­s sociaux, Medef et syndicats pour une fois à l’unisson, ne sont pas, mais alors pas du tout pressés de remettre le couvert. « La priorité, c’est l’emploi », dit Laurent Berger (CFDT).

Le patron des patrons : « L’urgence absolue, c’est la relance. »

Bref, comme le dit le n° de la CGPME, personne n’a très envie de « reprendre les hostilités ». Ni sur le régime universel (donc régimes spéciaux, régimes autonomes et autres points de conflits toujours à vif), ni sur les mesures financière­s d’urgence, forcément douloureus­es. Quels patrons sont pour un relèvement des cotisation­s ? Quel syndicat acceptera de gaieté de coeur une augmentati­on du nombre de trimestres ? Autant demander aux dindes de voter pour Noël, comme disent les Anglais. La saison II de la bataille des retraites sera-telle aussi mouvementé­e que la saison I ? Déjà, la CGT appelle à la grève générale pour la rentrée. Cela donne le ton. À moins que Jean Castex ne montre des talents de négociateu­r hors pair. Ou que la gravité de la situation ne révèle chez les partenaire­s sociaux un goût du compromis qu’on ne leur soupçonnai­t pas. On peut rêver.

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