Nice-Matin (Cannes)

Attentat : ils étaient unis pour ne pas subir

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Comme une thérapie, le lieutenant-colonel Riquier avait demandé à ses « soldats de la vie » de coucher sur papier les souvenirs traumatisa­nt de la terrible nuit du 14 juillet 2016 à Nice. « Tous unis pour ne pas subir », le livre qu’il en a tiré est simplement bouleversa­nt

Unis pour ne pas subir ». C’est une chro- nique, celle des sapeurs pompiers de Nice face à l’attentat du 14-Juillet. Elle a été gravée dans le marbre éditorial d’un livre (aux éditions Carlo Zaglia) révélé hier lors d’une cérémonie à la caserne Magnan de Nice (voir par ailleurs). Mais attention, pas un livre de plus sur cette tuerie de masse ! Quatre ans après les faits, alors que les proches et les familles des 86 victimes vivent toujours le deuil le plus infernal qu’on puisse imaginer, le lieutenant-colonel Riquier raconte ces heures terribles. Il fut le général en chef d’une armée de sauveteurs jetés dans les feux de l’enfer terroriste.

Pas un des 462 pompiers du corps de Nice ne manqua ce soir-là à l’appel. Nul ne flancha malgré la tension d’un effroyable conflit d’intérêts entre leur mission de servir sans faillir et l’angoisse qui tous les habita qu’un de leurs proches, un fils, une mère, un voisin, un copain ou un frère ne comptent aux nombres des victimes qu’ils pourraient croiser sur les trottoirs ensanglant­és de la Prom’.

Ses hommes, il les sait forts, courageux, dignes. Téméraires aussi quand il le faut... si au bout du péril de leur propre (sur) vie une vie peut encore être sauvée. Comme lui, l’enfant du Vieux-Nice destiné à une carrière en col blanc après de brillantes études supérieure­s, mais qui choisira finalement d’embrasser la carrière de sauveteur au nom des siens et de Célestin Riquier, son grand-père, ils sont « Niçois ». La promenade des Anglais, théâtre d’une abominatio­n ourdie par un monstre – Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, ne saurait être pour chacun d’entre eux une zone d’interventi­on comme une autre. Non, elle est leur jardin. Leur port d’attache émotionnel. Leur « maison » ! C’est pour eux, c’est autant pour lui que, quatre ans après ce 14-Juillet d’épouvante, Olivier Riquier, le premier des pompiers de Nice, revient sur ces heures sans fin. Sur ce choc absolu face à des scènes d’horreur qui les hanteront à jamais, mais qu’il fallut alors appréhende­r avec la plus grande distance. « Tous unis pour ne pas subir »... quitte un jour à en payer le prix fort au gré de nuit sans fin ou le film de cette épouvante passe en boucles infinies. Nice-Matin aujourd’hui vous dévoile les « bonnes pages » de cette chronique bouleversa­nte.

Un 14 juillet de plus. Les sapeurs pompiers de Nice sont rompus à l’exercice. Le dispositif de secours mis en place sur la promenade des Anglais est arrêté depuis de longues semaines. On attend comme chaque été plus de 30 000 personnes le long de la baie des Anges. La Prom Party, série de mini-concerts, viendra ponctuer en musique le feu d’artifice. Plus de 130 sapeurs-pompiers sont réquisitio­nnés. Après les attentats de novembre 2015 à Paris, la plus grande vigilance est de mise en cet été 2016. Jamais le nombre de pompiers présents sur les trottoirs de la Prom’, de Lenval jusqu’à Rauba Capeu, n’a été aussi important. Les hommes du lieutenant-colonel Riquier sont en position dès la fin de journée. Tous hyper concentrés. Mus par un esprit d’équipe au sens rugbystiqu­e du terme dont Olivier a fait la marque de fabrique du corps des sapeurs-pompiers de Nice. Pas étonnant ainsi que, cet hiver dernier, le XV de France soit venu dans le plus grand des secrets peaufiner sa préparatio­n physique et mentale auprès de ces « soldats de la vie » de la caserne Magnan.

Un grand village

Focus sur leur mission, mais sereins. La petite musique de fête si particuliè­re du 14-Juillet, ils n’y sont pas indifféren­ts. Sans doute croiseront-ils ce soir leurs épouses avec les enfants, des copains, des parents ou des connaissan­ces lorsque le bouquet finale illuminera la baie des Anges. Nice est un grand village... Olivier Riquier se souvient avoir promis à Victoire, sa cadette, de l’amener sur la Prom’. L’après-midi, avec ses « hommes », il a sacrifié avec une immense fierté au rite du défilé sur la promenade des Anglais. La Garden-Party dans les jardins de la Villa Masséna s’est terminée un peu tard. De retour chez lui, sa fille est déjà endormie. Le feu d’artifice, il se contentera avec son épouse et son aîné d’en profiter de loin, depuis le balcon de leur appartemen­t à Valrose.

Le destin frappe alors à sa porte. Comme à celle des 462 sapeurs-pompiers de Nice pour lesquels la vie jamais ne sera plus comme avant. Le récit de cette nuit d’épouvante, Olivier l’a couché sur papier dans un élan d’infinie tristesse, mais de fierté aussi. Un livre : Tous Unis pour ne pas subir. Parce qu’il y a toujours un après. Et pour les soldats de la vie, il fut douloureux.

La plaie s’est-elle refermée après qu’ils aient erré d’un corps à l’autre dans l’infernale scène de dévastatio­n que le camion de la mort du terroriste avait laissée dans son sillage ? Nul ne sait. Au lendemain de cet enfer, Olivier avait proposé à ses hommes de raconter leur nuit, de n’omettre aucun détail, de ne dissimuler aucune des angoisses qu’ils avaient dû alors refouler afin de ne pas sombrer dans l’émotion, de ne pas perdre leurs moyens au risque d’offrir une seconde victoire au tueur du 14-Juillet.

« Olivier descend... J’ai au mois  morts sur la Prom’ »

Thérapie d’urgence. Chacun de sa plus belle plume s’y est mis. Le livre d’Olivier Riquier les compile pour que chacun sache.

« Vers 23 heures environ, coup de fil de Philippe. Sa voie est stressée. Pour l’impression­ner lui, il en faut vraiment...: “Olivier descend... J’ai au moins 50 morts sur la promenade des Anglais... je crois que c’est un attentat”. Depuis que j’ai entendu ces mots, je ne suis plus le même homme » Le colonel ignore encore qu’il va devoir prendre le commandeme­nt d’une opération de secours d’une ampleur sans exemple. Une question le hante : « Sommes-nous prêts ? » Prêts à intervenir dans leur propre cité sur une scène d’absolue barbarie qui s’étale sur plus de deux kilomètres, avec la menace de surattenta­t ou pire le spectre du multi-attentat qui planera sur la ville toute la nuit ? Olivier déclenche le plan ORSEC NOVI 4e

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(Photo Patrice Lapoirie) Après l’attentat, Olivier Riquier avait demandé à ses « hommes » de faire le récit de leur nuit d’épouvante passée sur le front de la barbarie.

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