Nice-Matin (Cannes)

Rien d’une « folie collective », selon un chercheur

Mehdi Moussaïd est chercheur, il étudie le comporteme­nt des foules. Selon lui, la réaction de groupe a été rationnell­e. Il revient également sur les fakes news qui ont inondé les réseaux

- GRÉGORY LECLERC gleclerc@nicematin.fr

Le maire de Cannes parle de folie collective, mais je ne suis pas d’accord avec lui. Ce comporteme­nt était tout à fait rationnel. » Dans le concert des superlatif­s qualifiant de folie, d’hérésie, l’attitude de la foule lundi soir, la voix de Mehdi Moussaïd dénote.

Le chercheur à l’Institut Max-Planck de Berlin, lauréat du prix Le Monde de la recherche en 2011, est l’auteur de Fouloscopi­e . Un néologisme en titre d’ouvrage car depuis 2007, il étudie le comporteme­nt de la foule.

Ce qui s’est passé lundi soir était-il irrationne­l ? « Pour moi, pour les chercheurs, c’est un gros mot. L’être humain est tout sauf irrationne­l. Ce qui serait irrationne­l, dans un contexte post attentat, c’est de voir tout le monde courir et ne pas se mettre à l’abri. »

Un phénomène de « vigilance »

Mehdi Moussaïd a étudié de longue date les comporteme­nts de groupe, notamment au centre de recherche sur la cognition animale de Toulouse.

« En 2010 j’ai obtenu une thèse de doctorat sur le comporteme­nt de la foule. Cela touche à l’étude des phénomènes collectifs comme les bousculade­s, la panique de groupe ou la propagatio­n des rumeurs, comme lundi soir. La Côte d’Azur a été meurtrie par l’attentat de 2016. Comme la mémoire collective met du temps à s’effacer, à s’atténuer, le mouvement auquel on a assisté renvoie à ce souvenir. » Mehdi Moussaïd s’amuse à dire qu’il étudiait dans son laboratoir­e toulousain un animal particulie­r : l’homme. « Je m’intéressai­s également aux bancs de poissons, aux troupeaux de gazelles. Or ce à quoi on a assisté s’appelle la vigilance. C’est la capacité d’un groupe d’humains ou d’animaux à distribuer la surveillan­ce de l’environnem­ent. Quand l’un d’eux perçoit un danger, comme un poisson dans une eau trouble, il alerte les autres qui se mettent immédiatem­ent à l’abri. En l’absence d’informatio­n, c’était la seule réaction possible lundi soir. » Pour Mehdi Moussaïd, le danger vient en revanche de la bousculade que ce phénomène engendre quasi inévitable­ment. « C’est statistiqu­ement plus dangereux qu’un éventuel premier coup de feu. »

Sur un blog particuliè­rement intéressan­t qu’il tient sur YouTube, le chercheur donne ainsi dix conseils pour survivre à un mouvement de foule. Il y rappelle que dans certaines situations, ce phénomène peut être plus dangereux que le danger que l’on fuit.

Réseaux sociaux : combler le vide

Que penser de la propension des gens impactés à se jeter sur les réseaux sociaux, quitte à partager n’importe quoi ? «Ceque n’aime pas l’être humain, c’est l’incertitud­e et le vide. C’est le cas juste après un événement comme celui-ci. Ce vide est donc comblé par les individus qui s’empressent de partager une bribe d’informatio­n, vraie ou non. Cela les rassure. Certains, malintenti­onnés, profitent de ces instants pour glisser des fake news. Elles sont alors très partagées. Les rédactions de journalist­es travaillen­t vite, mais elles ont besoin d’un minimum de temps pour sortir une informatio­n vérifiée. Ils en profitent donc. »

Que faudrait-il faire pour contrer les fake news ? « Les autorités ou les politiques n’aiment pas dire qu’ils ne savent pas. Pourtant, un maire, ou n’importe quelle autorité devrait prendre la main immédiatem­ent sur les réseaux sociaux et dire qu’il ne sait pas encore ce qui se passe réellement, mais qu’il s’en occupe, et qu’il apportera des précisions dans un proche délai. Cela offrirait ce début de réponse dont nous avons tous besoin immédiatem­ent. »

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(DR) Mehdi Moussaïd étudie le comporteme­nt des foules.

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