Mathieu Avanzi : « Les langues régionales sont en danger ! »
Ce linguiste réputé nous fait part de sa réflexion et de son expertise. Les expressions régionales qui fourmillent dans notre pays et les accents n’ont aucun secret pour lui…
Mathieu Avanzi est maître de conférences en linguistique française. Enseignant à l’université Paris-Sorbonne, il est cet expert avec lequel il fait bon converser pour comprendre les finesses des langues régionales de notre pays, ces mots parfois savoureux en usage à Marseille et pas à Lille, ces expressions croustillantes dont les Savoyards sont friands mais qui restent incomprises des Alsaciens. Ce chercheur passionné est également l’auteur d’un ouvrage, Parlez-vous (les) français ? Atlas des expressions de nos régions (éditions Armand Colin), dont on ne peut que recommander la lecture…
Quelle est la nature précise de vos travaux ?
On travaille sur la façon dont le français varie d’un bout à l’autre de la France. On s’intéresse non pas au français standard, mais à celui qui est parlé aux quatre coins de la francophonie, en Suisse, en Belgique, etc. On cherche à comprendre pourquoi le français de Marseille est différent de celui de Toulouse, on essaie de capter les différences : les expressions, la façon dont sont conjugués certains mots. On regarde aussi tout ce qui touche à l’accent et on travaille à partir d’enquêtes que l’on conduit en ligne.
Vous parlez de « français standard ». Quel est-il ?
C’est celui de Pernaut, pas de l’élite parisienne. Plutôt de ceux qui ont beaucoup déménagé, qu’on ne sait pas très bien identifier régionalement. Un français un peu sans couleur. C’est celui que l’on enseignerait à des étrangers qui viendraient l’apprendre à Paris.
Un français plutôt terne ?
Oui, puisqu’il n’a pas de personnalité, pas d’ancrage régional. C’est le français de tout le monde, qui est toujours difficile à définir.
L’accent, la prononciation des mots peuvent-ils constituer un handicap ?
C’est à double tranchant.
Cela dépend en fait de l’endroit où vous vous trouvez. Si vous êtes à Paris, il est clair que dès que vous vous exprimez avec une prononciation particulière, les gens vont vous regarder comme une bête curieuse.
On va vous reprendre régulièrement et de ce point de vue, ça peut devenir un handicap.
Pour passer à la télévision ou à la radio, il faut également apprendre à contrôler son accent. Hors de Paris en revanche, si par exemple vous tenez un bar ou avez une activité qui implique un contact avec le public, mieux vaut avoir un accent local qui ne vous fera pas passer pour un « étranger ».
D’un point de vue général, un accent prononcé renvoie plutôt une image négative ?
Cela dépend. Les accents du Sud ont des connotations très positives. Les choses sont en train d’évoluer. Avec les réseaux sociaux et les revendications des minorités, on tient compte désormais de la diversité, et il est plutôt mal vu d’avoir des stéréotypes négatifs associés à des accents. Après, il est vrai qu’un accent peut laisser penser qu’une personne est sous-qualifiée pour pratiquer tel ou tel métier, ça peut donner l’impression qu’elle n’est pas allée dans les meilleures écoles. Est-ce que Macron a nommé Castex pour son accent sympathique ? Je ne le crois pas. Mais on ne peut s’empêcher de se poser la question.
Selon les résultats d’une étude menée par l’Ifop, beaucoup de Français disent avoir souffert de glottophobie. Qu’en pensez-vous ?
J’ai vu cette étude. Le problème est qu’elle a été réalisée à partir des anciennes régions, qui constituaient déjà un vaste territoire. Elle ne rend pas vraiment compte de la distinction entre campagne et ville, et l’unité géographique retenue est beaucoup trop large.
Il aurait fallu partir sur l’arrondissement pour avoir plus de finesse. Concernant la glottophobie, il y a un problème de méthode. La glottophobie, on ne la subit que lorsqu’on sort de sa région d’origine.
Mais lorsqu'on y vit, elle n’existe pas, puisque tout le monde a le même accent. C’est pour cela que l’enquête de l’Ifop est un peu difficile à analyser, et que les résultats obtenus sont bizarres. On a l’impression que ce sont les Pays de la Loire qui sont le plus discriminés. Pour savoir cela, la bonne question à poser était : « En quittant votre région, avez-vous été victime de glottophobie ? »
Cela dit, certaines données sont intéressantes et ne doivent pas être jetées à la poubelle.
Que pensez-vous de l’initiative de Christophe Euzet, ce député de l’Hérault qui entend lutter par la loi contre la glottophobie ?
Cette action a une valeur symbolique. Le fait d’avoir nommé la glottophobie en , et maintenant d’y associer une loi, permet de reconnaître que la discrimination existe par rapport à ce phénomène-là et de redonner une légitimité aux accents. Même si je pense qu’une telle loi sera impossible à appliquer.
Croyez-vous à l’existence d’un « vrai » français ?
Non, au sens où il n’y a pas un français correct, mais plusieurs solutions qui le sont. Faut-il dire chocolatine ou pain au chocolat ? Il n’y a pas une réponse, mais plusieurs. A Toulouse, on dit chocolatine parce que c’est la norme locale. À Paris, c’est l’inverse. C’est dans cet esprit-là que je dis qu’il existe plusieurs variétés de français. Quand on me demande : faut-il dire cela ou cela ? je réponds que ça dépend de l’endroit où l’on est. Cela redonne un peu de légitimité aux autres capitales : il y a un français de Marseille, un autre de Toulouse, un autre de Montpellier, etc.
Le parler régional de la région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur est-il le plus riche de France ?
Beaucoup de mots régionaux sont associés à Marseille. Mais il est difficile d’établir une comptabilité parce que leur liste est infinie. Ce qui est certain, c’est qu’en Provence-AlpesCôte d’Azur, dans le Sud-Ouest, les deux Savoie, la région de Lyon ou encore le NordPas-de-Calais, on dénombre beaucoup de « régionalismes ». Ceux de Marseille et de ProvenceAlpes-Côte
d’Azur sont les plus étudiés, ceux qui comptent le plus de dictionnaires. Ce sont aussi les plus connus.
Votre analyse du langage des banlieues ?
Je dirais qu’il évolue. Si on prend un film comme La Haine, qui date déjà de quelques années, les jeunes des cités ne parlent plus du tout comme ça.
Parce que les « sociolectes », par rapport aux « régiolectes », se reconstruisent plus rapidement et parce que les ados se construisent par opposition à leurs parents. Quand je donne des exemples d’argot à mes étudiants, ils me disent que ce sont leurs parents qui parlaient comme cela.
Les langues régionales sont-elles en danger ?
C’est ce que l’on observe. Oui, elles le sont parce qu’il y a de moins en moins de locuteurs natifs. On n’a plus besoin de ces langues régionales, parce qu’elles n’ont plus de fonction de communication comme à l’époque de nos grands-parents. Les patois étaient alors des langues hyperbien taillées pour décrire les réalités. Aujourd’hui, le français a remplacé les langues régionales. Les gens, à un moment donné, ont arrêté de les apprendre. Elles sont clairement en danger.
Même le corse ?
Le corse, le breton, l’alsacien n’ont pas eu le temps de disparaître complètement, contrairement au savoyard. La langue corse bénéficie d’une vraie politique de revitalisation, mais on parle d’une île, avec les revendications autonomes qui se trouvent derrière.
Que dire de leur enseignement ?
Qu’il comporte tout un tas d’inconnues, parce que ça change chaque année. Il existe toujours une espèce d’hypocrisie autour de ces langues régionales. Le statut des options est modifié sans arrêt, sans parler du problème des examinateurs chargés de faire passer les épreuves orales. En Savoie, les étudiants sont envoyés dans la Drôme.
D’un côté, un grand nombre de militants se battent pour que soient maintenues ces options, et de l’autre côté, le gouvernement fait un peu n’importe quoi.
Les choses ne sont jamais claires.