Ils vont vous chanter la ballade des aphasiques
Parce qu’il est parfois plus facile de chanter quand on a du mal à parler, le groupe des Aphasiques du Var a monté sa chorale. Les explications du neurologue toulonnais Pierre Lemarquis
Je viens vous chanter la ballade, la ballade des gens heureux… » Ce sont des refrains comme celui-là, faciles à entonner, connus de tous, que la chorale du Groupe des aphasiques du Var, le GAV, entonne cet après-midi-là, à l’occasion d’un petit concert organisé à l’institut de rééducation fonctionnelle Pomponiana à Hyères. Parmi les quinze chanteurs, certains sont aphasiques : ils ont perdu l’usage de la parole, souvent après un accident vasculaire cérébral. Parfois, ce mutisme est consécutif à une tumeur, une chirurgie ou une maladie neurodégénérative comme Alzheimer.
« Le rythme nous guide »
Quand on ne parle plus, ou très difficilement, comment peut-on réussir à chanter ?
« Quand on veut parler, on s’emmêle très vite les pinceaux, explique Véronique, avec difficulté. Avec le chant, il y a un rythme qui nous guide, des gestes parfois, et puis surtout, ce n’est pas la même partie du cerveau qui travaille ! Chanter, c’est une façon de s’exprimer avec moins de difficultés et de dépasser le handicap. » La chorale, quant à elle, offre « un lien social à des patients et à leurs aidants que la maladie a tendance à isoler », explique Dominique Deshors, l’animatrice. « On n’a pas la prétention de réaliser une performance musicale. On s’amuse bien tous ensemble, mais on transpire aussi beaucoup pour parvenir à ce résultat ! »
Le Dr Pierre Lemarquis, neurologue à Toulon, connaît bien les vertus du chant et de la musique sur le cerveau en général et sur celui des patients aphasiques ou atteints de maladies neurodégénératives en particulier. «Il y a deux types d’aphasiques. Les premiers sont des patients mutiques qui ne comprennent plus ce qu’on leur dit, les seconds ne peuvent plus parler mais ils comprennent. C’est un problème moteur et le chant peut aider à démutiser ces derniers. »
Le chant préexiste au langage
En utilisant le chant pour communiquer, « on fait appel à une autre voix neurologique, poursuit le neurologue. Dans le lobe temporal, une zone est dédiée à la détection des sons. Et dans cette zone, une plus petite zone surspécialisée détecte le langage. Le chant et la musique sont antérieurs au langage dans notre cerveau, rappelle Pierre Lemarquis. Regardez les animaux : la plupart chantent, comme les oiseaux, les baleines, les souris ou les gibbons qui font du chant choral puisqu’ils chantent en couple – ce sont d’ailleurs, parmi les mammifères, les plus fidèles ! Il y a donc une dimension sociale du chant : quand on chante ensemble, on forme un groupe, capable de faire des choses, de se défendre. C’est de ce chant primal que descendent nos chants de supporters : le piloupilou des Toulonnais ou le Hakka des Néo-Zélandais. »
Pour les humains, l’apprentissage du langage passe d’abord par le rythme, la mélodie de la langue. Viennent ensuite le sens et la parole.
Le chant agit comme une prothèse
« Quand la parole est défaillante, le chant peut agir comme une béquille, une prothèse. C’est un exercice à recommander à tout patient aphasique sensible à la musique et capable de compréhension mais ça peut aussi fonctionner avec les personnes bègues par exemple », indique le médecin.
Groupe des aphasiques du Var (GAV) : .... gloaguen@wanadoo.fr