Nice : quatre manifestants anti-police face à la justice
Le tribunal correctionnel a jugé, hier, des manifestants interpellés pour outrages ou violences en mai 2019. La présence du syndicat policier Alliance dans le cortège avait suscité l’hostilité de certains
Ils tirent au LBD, à bas les condés ! Ils tuent ils blessent, à bas les CRS ! » Ce slogan donne le ton. Un ton qui est sérieusement monté, le 9 mai 2019, dans la manif niçoise pour la défense du service public. Ce jourlà, place Garibaldi, quatre militants sont interpellés pour outrages, violences ou rébellion. Les revoici hier, seize mois plus tard, à la barre du tribunal correctionnel de Nice. Sous les yeux des sept policiers qui se sont constitués partie civile. Le ton est donné, aussi, sur les marches du palais de justice de Nice. Il est 13h, et plusieurs dizaines de militants de gauche manifestent leur soutien inconditionnel à leurs camarades renvoyés devant la justice. Des responsables nationaux et régionaux du syndicat Alliance police nationale sont là, eux aussi. Plus discrets. Ce matin de mai 2019, la manifestation était annoncée comme « unitaire », rappelle en grinçant le procureur Sandra Verbrugghen. Mais cette « unité » ne fait pas l’unanimité. La présence d’une délégation Alliance police nationale, dans la foulée de la CGT ou de la CFDT, n’est pas du goût de certains. Pas seulement en raison d’un clivage droite/gauche. Mais aussi à cause d’une défiance grandissante envers les forces de l’ordre, dont ce procès est l’illustration. A l’époque des faits, les esprits sont encore marqués par les manifs de « gilets jaunes » et les séquelles de l’affaire Geneviève Legay.
Diplômés et sans casier
Voilà dans quel contexte des manifestants FSU et Etudiants-Solidaires viennent scander des slogans hostiles aux oreilles des policiers présents dans le cortège. Au classique « Police partout, justice nulle part », répond le plus agressif « Ils tirent au LBD, à bas les condés ! Ils tuent ils blessent, à bas les CRS ! » D’autres slogans, plus radicaux, n’ont pas été retenus dans le procès. Qu’à cela ne tienne :
« Tout mot déplacé à l’égard des policiers est un outrage. Ça s’applique aux citoyens, quels qu’ils soient », rappelle le président du tribunal, Alain Chemama.
Ces citoyens-là tranchent avec le profil des prévenus qui les ont précédés à l’audience. Tous ont un casier judiciaire vierge. Alec, 23 ans, et Danny, 28 ans, militants Solidaires, peuvent revendiquer un niveau d’études brillant. A l’instar de Delphine, 33 ans, établie en Allemagne. Olivier, 50 ans, est enseignant au lycée Calmette, docteur en histoire, et militant FSU.
Alec et Danny ont été interpellés pour outrages. Olivier également. Mais surtout pour s’être rebellé et avoir mordu un policier au genou, alors qu’il était plaqué au sol - «par réflexe. Je n’arrivais pas à respirer », s’excuse-t-il. L’enseignant a luimême déposé plainte contre les policiers. Delphine, elle, répond de violences pour avoir repoussé - « écarté », corrige-t-elle - un policier lors de l’interpellation d’Olivier. Parmi les policiers présents à l’audience, seule Karine Jouglas défilait dans le cortège du 9 mai 2019. La secrétaire départementale d’Alliance 06 y manifestait pour la défense du service public. Mais elle a rapidement perçu une certaine hostilité. Tout d’abord lorsqu’elle a rejoint les autres organisations syndicales sur le camion, drapeaux Alliance à la main. Puis lorsqu’un groupe s’est « inséré » devant sa délégation, pour lancer des « Dégagez, vous n’avez rien à foutre là ! Honte à vous ! Police bâtards ! » ,mégaphone à l’appui. Une version contestée par la défense.
« On n’est pas les chiens de la République ! », s’insurge l’un des agents partie civile, laissant éclater son dépit à la barre. « Je ne suis pas rentré dans la police par hasard. C’est une vocation. On ne peut pas traiter impunément les policiers de condés ». Mes Adrien Verrier, Jordan Haddad et Delphine Des Villettes, avocats de la partie civile, disent le « ras-le-bol des policiers », ces fonctionnaires « qui n’en peuvent plus », ces forces de l’ordre « auxquelles on n’hésite plus à s’en prendre ».
« Procès politique »
Le président Chemama prend soin de sonder les intéressés sur leurs convictions. Les militants disent viser l’institution policière, non les individus qui la composent. «Il s’agissait de dénoncer la violence policière dont avaient été victimes les manifestants le 1er mai à Paris » ,a expliqué Alec en garde à vue. De dénoncer, aussi, « la doctrine maintien de l’ordre des manifs gilets jaunes» . Le président Chemama intervient : « CRS, cela signifie Compagnies Républicaines de Sécurité. Ce sont des policiers au service de la République ! Qu’il puisse y avoir des abus ici ou là, c’est un autre problème... »
« Nous savons faire la différence entre la personne et la fonction », martèle Olivier, soulignant avec un aplomb professoral que Victor Hugo fut l’auteur du « Police partout, justice nulle part ». Face aux offensives de la partie civile, il réplique : « Si j’ai bien compris, c’est un procès politique ! » Le procureur Verbrugghen lui renvoie le compliment, évoquant les « pétitions et appels à la grève qui colorent ce dosssier ». Y’a-t-il une tentative de « manipulation de la justice », comme le soutient Me Mireille Damiano côté défense ? Le seul outrage du dossier serait-il constitué par les déclarations des policiers, évoquant tour à tour « abats » ou «à bas » dans les slogans anti-police ? Le parquet n’est pas de cet avis. Il requiert des travaux d’intérêt général pour Alec et Danny, sous peine d’écoper de trois mois de prison. Quatre mois de prison avec sursis pour Delphine. Et huit avec sursis pour Olivier. La sentence est tombée hier à minuit pile. Le tribunal a infligé 2 mois de prison avec sursis à Alec.B, Danny.S et Delphine.D, et 6 mois avec sursis à Olivier.S.