Nice-Matin (Cannes)

Au septième ciel !

Il ne cherchait « qu’à » traverser la Méditerran­ée. Le Niçois Sabri Ben Hassen a battu le record du monde (en cours d’homologati­on) de distance parcourue en ULM, engin qu’il a lui-même fabriqué

- (Photos DR) PHILIPPE HERBET pherbet@nicematin.fr

Caresser les nuages, pour mieux en dompter les pièges éthérés. Défricher ces horizons célestes, sources d’inspiratio­n des poètes éclairés. S’amuser des vents, parfois vachards, pour éventuelle­ment les contraindr­e à devenir forces alliées…

Depuis tout petit, il ne rêve quedeça:« voler ! ». Mais, contrairem­ent à Icare, lui n’a pas voulu échapper au labyrinthe du quotidien. Et ne s’y est donc pas brûlé les ailes. Bien au contraire… Sabri Ben Hassen, près de trente ans après que son esprit eut curieuseme­nt vagabondé loin, très loin du plancher des vaches, vient donc de battre – sans même y avoir pensé à l’avance – le record du monde de distance parcourue en ULM, sans escale : 858 km, en 3 h 42, entre l’aérodrome de Fayence dans le Var et celui, internatio­nal, de Carthage, à Tunis. « Mon seul objectif était de traverser la Méditerran­ée et de surprendre mes parents, qui vivent là-bas six mois par an. En leur montrant que je pouvais faire des choses surprenant­es et que j’avais fait du chemin depuis toutes ces années… »

Un rêve depuis toujours !

Au final, c’est un authentiqu­e exploit qu’il a signé. Et qu’il faut, pour mieux en mesurer la portée, analyser sous le prisme de l’histoire intime du bonhomme. Une histoire qui débute alors qu’il n’avait que 5 ans. « J’étais au balcon quand j’ai vu trois Italiens atterrir dans le lit du Paillon. Ça a été immédiatem­ent le déclic… »

Dix ans plus tard, devenu ado, il s’achète, pour 110 euros et après quelques petits boulots lui ayant permis d’économiser la somme nécessaire, un premier parapente. Hors d’usage, évidemment. Mais qu’il bricole néanmoins et avec lequel il effectue son baptême de l’air. Sans avoir pris le moindre cours au préalable, ce qui est fortement déconseill­é. « Devant mes copains, je me suis jeté, seul, de l’Observatoi­re de Nice, alors que je n’avais encore jamais volé. Mais je n’ai franchemen­t pas eu peur et tout s’est bien

passé. C’était en fait le plus beau moment de ma vie… »

Le destin se chargera de la suite. Et fera en sorte que celui qui allait devenir le patron de l’entreprise Drone 06 puisse continuer à s’enivrer de ce parfum envoûtant qui ne naît qu’en altitude. En passant d’abord au paramoteur. « La première fois, avec cet engin, j’ai décollé de la Sernam. J’ai survolé, de pas très haut, tout le Vieux-Nice (1). Et j’ai atterri sur la Prom’. C’était juste incroyable, mais c’était il y a 20 ans, et on n’avait pas toutes ces contrainte­s de sécurité. J’ai quand même été contrôlé, mais avec beaucoup de bienveilla­nce, ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui, évidemment… »

Une traversée difficile

L’homme-oiseau qu’il s’imagine être devenu continuera donc de déployer ses ailes. Pourra même, quand les finances le lui permettron­t, et après avoir passé sa licence de pilote, aller encore un peu plus loin sur le chemin escarpé de ses rêves. Avec, entre autres, l’acquisitio­n d’avions, cette fois tout neufs.

Mais, malgré tout, ça ne lui suffit toujours pas… Alors, à partir d’un simple châssis, qu’il commande en Italie, il se met en tête de fabriquer sa propre machine. De A à Z, parachute et électroniq­ue embarquée y compris. « Tout le monde me prenait pour un fou. Mais j’ai réussi un premier vol test, autour de l’aérodrome de Fréjus, le 31 mars 2019. Et là, j’ai eu envie de renouer avec une autre de mes folles envies : refaire ce que Roland Garros avait été le premier à réaliser à l’époque, avec un vol entre Fréjus et Bizerte... Ça a été, en amont, une très longue préparatio­n technique, durant laquelle il m’a fallu tout vérifier et revérifier. J’ai même demandé à un ami, la veille de notre départ, de “monter” à Paris, de nuit, pour aller chercher une sonde parce que j’avais un doute sur celle qui était installée. Mais j’ai aussi dû obtenir toutes les autorisati­ons de vol nécessaire­s, ce qui n’a pas été si simple... Et puis, il y a eu les impondérab­les, comme à mon arrivée à Carthage, quand j’avais le contrôleur à la radio, et qu’il pensait que j’étais un avion de ligne. Il m’a obligé à faire trois tours d’approche alors que je ne savais même pas où j’en étais au niveau carburant… »

Comme un oiseau

« La traversée, poursuit-il, a été compliquée, également. Très dure, parce qu’à un moment, après avoir “coupé” audessus de la Sardaigne, on ne pouvait plus, à cause du brouillard, distinguer la mer du ciel. Il fallait donc être vigilant en permanence, très concentré, et surtout surveiller la consommati­on, qui est un paramètre toujours très aléatoire… »

Trois jours après son arrivée à Tunis avec son passager, le journalist­e Christophe Kulikowski, Sabri devait effectuer le chemin retour. Seul. Mais avec, une fois encore, ce sentiment de liberté absolue, et qui permet - toujours - de caresser les nuages…

1. Une pratique désormais interdite.

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Sabri Ben Hassen a pu réaliser son rêve et marcher sur les traces de Roland Garros.
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