Nice-Matin (Cannes)

« En Europe, c’est chacun pour soi contre le virus »

De secrétaire d’Etat en Italie à conseiller très éphémère d’Edouard Philippe à Matignon, la trajectoir­e du député européen Sandro Gozi surprend et dérange. Il se confie sur son parcours et livre son regard sur l’Europe

- PROPOS RECUEILLIS PAR DENIS CARREAUX

En s’auto-proclamant symbole de la politique transnatio­nale, l’Italien Sandro Gozi voulait montrer l’exemple. Il s’est transformé en cible. C’est cette expérience éprouvante que cet ex-secrétaire d’État aux affaires européenne­s de Matteo Renzi, élu député européen en France sous les couleurs de la majorité présidenti­elle a choisi de raconter dans un livre. De coups bas en accusation­s de trahison et d’espionnage, un vrai polar politique européen.

C’est votre décision de vous présenter aux Européenne­s en France sur la liste « En Marche » qui a fait de vous une cible ?

J’ai fait un choix transnatio­nal radicaleme­nt opposé aux nationalis­tes et aux populistes en voulant incarner une véritable citoyennet­é européenne. Je suis devenu une cible parce que je porte une alternativ­e qu’ils détestent.

Cela s’est traduit de quelle manière ?

Par la mise en oeuvre de quatre campagnes contre moi. Au départ, par des attaques virulentes pendant la campagne européenne en Italie de la part de la leader postfascis­te de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni et du mouvement  étoiles. Cela s’est traduit aussi par des dénonciati­ons anonymes avec l’ouverture d’enquêtes qui n’ont pas abouti mais ont été utilisées pour essayer de salir mon image. Après les élections européenne­s, lorsqu’on m’a proposé de devenir conseiller d’Edouard Philippe, Luigi Di Maio, vice-président du Conseil et actuel ministre des Affaires étrangères, Meloni et des gens de la Ligue ont demandé qu’on m’enlève la nationalit­é italienne, ce qui n’a même pas été le cas pour les grands parrains de la mafia ! Ils m’ont accusé de haute trahison pour avoir exercé le droit offert chaque citoyen européen de travailler dans l’administra­tion d’un autre pays. Ce débat a divisé l’Italie pendant dix jours. Pour finir, on m’a accusé à tort de conflits d’intérêts lorsque j’étais à Matignon. Les mêmes gens, les mêmes ennemis ont cherché à tout faire pour m’abattre. Je ne m’attendais pas à une violence d’une telle intensité.

Il a même été question d’espionnage, en raison de vos liens supposés avec Malte...

C’est l’accusation la plus grotesque dont j’ai fait l’objet durant cette période. Un citoyen européen peut être accusé d’espionnage parce qu’il exerce son droit dans un autre pays !

Dans la mesure où vous avez choisi de démissionn­er de votre poste de conseiller à Matignon, vos adversaire­s n’ont-ils pas gagné ?

Un conseiller, soit ça aide, soit ça part. Les polémiques étaient tellement virulentes que mon départ était la meilleure solution. D’ailleurs, tout s’est arrêté dans les h après ma démission. La manipulati­on visait aussi à mettre en difficulté la majorité présidenti­elle et le Premier ministre.

Avez-vous été surpris d’être visé également par des attaques en France ?

J’ai constaté ici des dérives violentes dont je pensais que l’Italie seule avait le monopole. Je mets en garde mes amis français : on voit à quoi cela a conduit en Italie où la violence sur les réseaux sociaux a mené des populistes, des fascistes et des extrémiste­s de droite jusqu’au Parlement. Quand je vois comment certains sujets sont traités sur les réseaux sociaux en France et la manière dont la presse suit cette tendance, je suis inquiet. Il y a trop de violence et trop de haine envers la politique et les institutio­ns. Le cas de Benjamin Griveaux en est l’illustrati­on. Evidemment, il a commis des erreurs et est peutêtre un des cas les plus difficiles à défendre, mais une telle violence sur les réseaux sociaux n’est pas acceptable.

Contrairem­ent à , l’Europe a vraiment pris sa part dans la bataille pour la relance économique. Cela marque-t-il un tournant ?

C’est une victoire nette de l’Europe du changement par rapport à l’Europe de l’immobilism­e et du statu quo. Une victoire de l’Europe de la solidarité et de l’investisse­ment face à l’Europe de l’austérité et des égoïsmes nationaux. Face à une crise sans précédent, on ne s’est pas contenté de tricoter des solutions. On a suspendu l’Europe qui ne marche pas, celle du pacte de stabilité et des règles sur les aides d’État, pour prendre de vraies décisions. L’idée de concevoir un grand programme d’investisse­ment en produisant de la dette européenne avec des obligation­s communes, c’est un choix politique fondamenta­l. Cela marque aussi un revirement dans la politique européenne de l’Allemagne. Cette fois-ci, Angela Merkel a réagi comme il le fallait, sous l’insistance presque têtue d’Emmanuel Macron.

Vous appelez à une politique migratoire européenne plus solidaire et plus humaine. Est-ce vraiment réaliste ?

Sans solidarité, nous n’arriverons jamais à gérer les migrations. Avec les seules politiques nationales, nous ne pouvons rien contrôler. Sauver des vies en mer n’est pas une option. C’est une question d’humanité avant d’être une obligation juridique.

‘‘ Un conseiller, soit ça aide, soit ça part” ‘‘ Sauver des vies en mer n’est pas une option”

Il faut être plus efficace sur le contrôle des frontières externes. Nous devons aussi nous montrer moins naïfs dans nos relations avec les pays d’origine en les faisant s’engager davantage sur les retours, volontaire­s ou non. Nous devons enfin créer des routes légales pour la migration économique. Gérer l’immigratio­n plutôt que de la subir est dans l’intérêt des Européens.

Dans la crise sanitaire, on dit les Italiens plus discipliné­s que les Français. C’est le cas ?

Au début de la crise, les gens me regardaien­t de travers quand j’arrivais au Parlement européen, alors que je venais de Paris en Thalys. Certains de mes collègues pensaient que le virus avait un passeport ! En tant qu’Italien, je représenta­is un danger. Les Italiens ont en effet fait preuve d’une grande discipline. Ils sont entrés dans le confinemen­t avant les autres, et celui-ci a été plus dur qu’ailleurs. La discipline personnell­e et les gestes barrières sont de vrais instrument­s pour sortir de cette crise. Mais il faut arrêter d’avancer en ordre dispersé. Il faut des critères communs pour déterminer les zones rouges ou vertes, des paramètres communs pour gérer la libre circulatio­n. En Europe, c’est encore chacun pour soi. Face au virus, il faut des décisions coordonnée­s et concertées. Nous devons pousser dans cette direction.

La cible, Sandro Gozi, éditions Saint-Simon, 114 p, 13 €.

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(Photo AFP)

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