Nice-Matin (Cannes)

«Le cirque a changé, ce n’est plus la chaise et le fouet »

Une voix à contre-courant. Celle de la princesse Stéphanie qui ne craint pas d’affirmer son opinion, tout en respectant celle des autres. « On s’acharne à tuer le cirque », déplore-t-elle

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Franche, spontanée. Et particuliè­rement remontée. Ainsi parlait, hier, la princesse Stéphanie, outrée par la disparitio­n programmée des cirques animaliers. Cette décision, souligne-t-elle, tire un trait sur une tradition qui célébrait en 2018 quelque 250 ans d’existence.

Comment réagissez-vous à cette annonce de la France, vous qui défendez le cirque avec animaux ?

C’est le cirque traditionn­el. Celui qui fait partie de nos traditions culturelle­s. J’estime qu’il ne faut pas faire une généralité. Des associatio­ns qui prétendent protéger les animaux pensent qu’on les prélève encore dans la nature, alors que c’est faux. Ils sont nés en captivité, tout comme ceux que l’on voit dans les parcs zoologique­s. Les animaux, au cirque, ont le contact avec les humains. Ce sont des membres de la famille. Ils ne sont pas dressés ni maltraités, ils sont juste aimés. Nourris. Choyés. C’est comme si l’on enlevait le chien de quelqu’un qui ne le promènerai­t qu’une fois par jour en le laissant dans un appartemen­t trop petit. Ça, c’est de la maltraitan­ce. Au cirque, on parle de personnes qui ne prennent pas de vacances, qui vivent pour leurs animaux, vingtquatr­e heures sur vingt-quatre. J’ajoute qu’en France, tout le monde a le droit de travailler. Ou alors, il faut empêcher les agriculteu­rs de se faire de l’argent avec l’élevage. Empêcher aussi le tiercé, parce que là aussi, c’est de l’exploitati­on animalière. Il faut tout interdire, et non pas seulement s’acharner sur les familles de cirque. Le cirque a changé, il vit avec son temps. Si l’on veut s’occuper de la condition animale, alors il faut s’en occuper complèteme­nt. Des animaux domestique­s sont très malheureux dans leur foyer, on en voit chaque année qui sont abandonnés au bord de la route. Voilà une cause noble aussi. Le cirque, c’est du rêve. Demandez à n’importe quel enfant : s’il veut aller au cirque, ce n’est pas pour voir des jongleurs, mais des animaux. Même si le spectacle est un tout. Et puis, fermons aussi beaucoup de centres équestres où les chevaux ne sortent jamais des boxes.

On vous rétorquera que ces animaux vivent dans des cages exiguës ?

Ils n’ont jamais connu la liberté. Un fauve se déplace pour chasser, ici on lui donne à manger. Il faut savoir que chez les lions, un mâle dort vingt heures par jour. Certains éducateurs d’animaux ont fait des tests salivaires pour comparer le niveau de stress entre les cirques et le milieu naturel. Eh bien, le résultat est alarmant pour les

‘‘ prélèvemen­ts sur des animaux en pleine nature, qui ont aussi des prédateurs. L’homme, entre autres. En Afrique du Sud, des lions sont élevés dans des parcs, puis lâchés deux heures avant pour le plaisir d’un Américain fortuné qui veut tuer le sien. Est-ce bien ? Non. Des fauves qui naissent dans la caravane de leur propriétai­re depuis six ou sept génération­s sont aimés, au même titre qu’un animal domestique. Peut-être que certains d’entre eux sont maltraités. Mais il ne faut pas faire une généralité. Si un restaurant sert des crevettes avariées, faut-il les retirer du menu de toutes les tables de la ville ? Non, bien sûr.

On a supprimé les cercles de feu dans lesquels on faisait sauter les fauves…

C’était une autre époque et les gens du cirque ont bien compris que ce n’était pas nécessaire. Si vous avez vu le Festival du cirque de Monte-Carlo l’année dernière, nous avons présenté le numéro d’un dompteur russe qui vit littéralem­ent toute la journée dans la cage de ses bêtes. Il n’a qu’une petite baguette à la main. Fait tout avec de l’amour, des sourires, des regards, en douceur. Le monde du cirque a évolué, ce n’est plus la chaise et le fouet. Quand je vois que des villes interdisen­t même les numéros de chiens, mais pourquoi ? Qu’estce que cela vous embête que des chiens s’amusent en piste et sautent par-dessus des barrières ou marchent sur les pattes arrière ? On essaie tous de le faire faire à nos chiens quand on est à la maison !

Des hippopotam­es sur la piste : oui ou non ?

C’est un peu déplacé. Je suis sûre que les gens s’en occupent bien, mais je pense que ces hippopotam­es seraient mieux dans un parc zoologique, plutôt que de voyager. Cela étant dit, ils sont nés en captivité, depuis quarante ans on n’a plus le droit de prélever des animaux sauvages dans leur milieu naturel.

Quelle incidence sur le Festival de Monte-Carlo ? Le spectacle ne sera plus le même ?

Forcément, cela m’inquiète. Nous nous battons de notre côté avec la fédération mondiale pour faire reconnaîtr­e les arts du cirque comme faisant partie de notre patrimoine culturel. C’est un spectacle vivant, de tradition, qui a commencé avec des clowns et des chevaux, et non pas avec des acrobates au trapèze. Protégeons les animaux, oui, mais aussi les humains. Notamment les enfants ou les femmes battues. Il y a des causes plus nobles que de s’acharner à tuer le cirque. On s’intéresse un peu trop aux animaux et pas assez aux humains, je crois. Arracher ces fauves aux seules personnes qui les ont jamais connus et aimés, pour les placer dans un centre de rétention ? C’est terrible. Quant à les relâcher dans la nature, ils survivront trois jours.

Faut-il opposer les causes entre elles ? L’opinion est de plus en plus soucieuse du bien-être animal…

L’animalisme, le véganisme, c’est une mode avant tout, or toutes les modes s’essoufflen­t. Je pense que ces gens ne respectent pas les autres. C’est-à-dire qu’ils veulent imposer leur point de vue à tout le monde. C’est antidémocr­atique. On a chacun le droit de mettre ce que l’on veut dans notre assiette. Cela ne fait pas de nous des mauvaises personnes. Si moi, j’ai envie de manger un bon steak, je n’empêche pas l’autre de préférer le soja. La télévision allemande a boycotté notre festival parce qu’il y avait des animaux. Tout de même, le public a dans sa main quelque chose qui s’appelle une télécomman­de. Si l’on n’est pas d’accord, on change de chaîne. Pourquoi imposer telle ou telle volonté ? Beaucoup aiment le cirque traditionn­el. Mais leur seule manière de manifester, c’est de continuer à s’y rendre. Je n’aime pas l’opéra, ce n’est pas pour autant que je vais empêcher les passionnés d’y aller. Les végans qui ne veulent pas tondre les moutons ? Les moutons, ils vont mourir si l’on ne retire par la laine qu’ils ont sur le dos !

La fréquentat­ion du cirque est en chute libre. Tendance de fond ?

Malheureus­ement, dès l’école, on dit aux enfants que c’est mal. Et il y a de moins en moins de lieux où l’on veut bien accueillir les cirques itinérants. Il serait dommage que le seul spectacle vivant multigénér­ationnel disparaiss­e. C’est le seul endroit où tout le monde s’émerveille, que l’on ait  ans ou  ans.

Vos propos vous vaudront des inimitiés. On vous jugera à contre-courant.

C’est mon opinion, je respecte celle des autres. Dans notre monde numérique, on a besoin de s’accrocher à nos racines, à nos traditions. Mais je ne défends les cirques avec animaux que dans la mesure où les choses sont bien faites. Je serais la première à condamner s’il y avait des abus. Nous sommes transparen­ts, nous avons mis en place des règles à l’échelle européenne, tous les gens de cirque ont les portes ouvertes, on peut entrer, rien n’est caché. On ne peut pas émettre de jugement sans savoir.

On s’intéresse un peu trop aux animaux et pas assez aux humains.”

Comment va l’éléphant ?

J’ai toujours Baby (), elle va très bien. En pleine forme ! C’est une bonne, grosse, vieille éléphante qui vit au-dessus de La Turbie. Pour revenir à ce que nous disions, quand on a une opinion, on ne fait pas forcément l’unanimité. Qui que l’on soit. J’assume complèteme­nt mes conviction­s. Je n’essaie d’imposer ma manière de penser à personne. Je ne serai jamais végane, désolé, c’est mon choix. J’ai envie de porter des pulls en laine qui tiennent chaud et d’avoir des chaussures en cuir qui m’empêchent d’avoir les pieds mouillés. Voilà ! 1. La princesse Stéphanie a recueilli en 2013, sur la propriété des Grimaldi au mont Agel, deux éléphants Baby et Népal menacés d’euthanasie. Népal est morte en 2017 des suites d’une insuffisan­ce rénale.

 ??  ?? Stéphanie de Monaco (ici en  au Festival du cirque de Monte-Carlo) : « Si l’on veut s’occuper de la condition animale, alors il faut s’en occuper complèteme­nt. Des animaux domestique­s sont très malheureux dans leur foyer, on en voit chaque année qui sont abandonnés au bord de la route. » (Photo Jean-François Ottonello)
Stéphanie de Monaco (ici en  au Festival du cirque de Monte-Carlo) : « Si l’on veut s’occuper de la condition animale, alors il faut s’en occuper complèteme­nt. Des animaux domestique­s sont très malheureux dans leur foyer, on en voit chaque année qui sont abandonnés au bord de la route. » (Photo Jean-François Ottonello)

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