Nice-Matin (Cannes)

Giulia Foïs « Les adultes de demain seront plus éveillés »

La journalist­e est attendue à Nice demain, dans le cadre de la vingtième édition d’un Festival C’est Trop Court. Elle y présentera son livre, Je suis une sur deux, un témoignage fort sur le viol, porté par une vraie plume.

- AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

La journalist­e de France Inter explore, chaque vendredi soir à 20 h aux commandes de l’émission Pas son genre, les questions de genre, de sexualité et de rapport au corps au troisième millénaire. Engagée et féministe, Giulia Foïs aborde des sujets éminemment sérieux avec une liberté de ton et un humour salvateurs. Juste avant le confinemen­t, c’est en tant qu’auteure que celle qui est aussi la petite soeur de la comédienne Marina Foïs a débarqué chez Flammarion. Dans Je suis une sur deux, la journalist­e fait le récit du viol qu’elle a subi il y a vingt ans, de l’acquitteme­nt de l’agresseur ensuite, et de sa renaissanc­e enfin. Un texte fort et plein d’espoir que Giulia Foïs va présenter demain à Nice, dans le cadre d’Un Festival C’est Trop Court, le rendez-vous niçois du court-métrage européen, après une projection de films sur cette thématique.

Votre livre est sorti avant le confinemen­t, n’en a-t-il pas trop souffert ?

Il est sorti trois semaines avant, j’ai eu le temps de faire une promo et je crois que, comme d’autres livres sortis ces derniers temps autour de ces sujets-là, il y a un appétit, un enthousias­me. Il a passé les épreuves du confinemen­t, de l’été et de la rentrée littéraire ! Il y a aussi quelque chose de très joli sur les réseaux sociaux : il ne se passe pas une semaine sans que les lectrices se le conseillen­t. Il y a un relais pour dire : lis, ça va te coller la rage mais ça va te faire du bien.

Est-ce à dire, qu’enfin, cette question des violences faites aux femmes compte, quelque que soit l’actualité ?

J’ai l’impression qu’on est arrivé à une période, depuis trois ans, où oui, il en faudra beaucoup plus pour nous faire taire. Il y a un besoin que les mots soient dits, qui vient de très loin. De très loin dans l’Histoire et de très loin en chacune de nous. Maintenant qu’on l’ouvre, on va continuer à parler quoiqu’il arrive, on finira bien par nous entendre. La question c’est : est-ce qu’on est entendues ? Parce que la réponse politique n’est clairement pas à la hauteur.

Récemment encore, avec le débat sur les tenues des filles à l’école : prendrait-on le problème à l’envers ?

Toujours. C’est toujours cette inversion de la culpabilit­é. Les regards se tournent toujours vers la victime. Comment était-elle habillée, où est-ce qu’elle était, comment se comportait-elle ? Et on n’a toujours pas le courage, ou l’envie, de lui foutre la paix et de regarder du côté des agresseurs. On ne pose pas les bonnes questions et tant qu’on ne les posera pas, on n’aura pas les bonnes réponses.

Cela pose aussi problème sur la manière dont on envisage les garçons, d’ailleurs ?

C’est très insultant pour les mecs ! On les prend pour des bestioles incapables de contrôler leurs pulsions. On ne les pense pas capables de réflexion, d’empathie, de rien ? Ce que ces questions montrent, c’est à quel point réfléchir à tout ça est salutaire pour tous. Pour les femmes parce que, peut-être un jour, on finira par s’habiller comme on veut et notre corps nous appartiend­ra vraiment ; pour les hommes, parce que cela les libère d’une idée de la virilité qui serait fondée sur une agressivit­é et une sexualité pulsionnel­les. Qu’on en sorte, on est tous coincés par tout ça !

Votre livre est le récit d’un viol, le vôtre, il y a vingt ans. Pourquoi écrire maintenant ?

Pour plein de choses. Pour reprendre une expression de mon compagnon : il y a vingt ans, j’avais le nez collé à la vitre. Ensuite, je ne voulais pas faire un témoignage brut. Je voulais avoir le recul nécessaire pour penser les choses. Je ne voulais pas piéger le lecteur dans ma trajectoir­e personnell­e, je voulais quelque chose d’universel pour parler à tous et à toutes, il fallait du temps. Il y avait aussi l’envie de ne pas dire de conneries, donc pendant vingt ans j’ai travaillé comme journalist­e sur ces questions-là et j’ai acquis un sentiment de légitimité profession­nelle làdessus. Ensuite, évidemment, il y a un contexte. L’un des leviers c’est la parole, je ne pouvais donc pas dire aux femmes, à longueur d’antenne : parlez, et continuer, moi, à me taire.

Vous ne vouliez pas un témoignage brut, vous faites d’ailleurs de votre livre un véritable objet littéraire ?

J’aime les mots, c’est mon métier. Et puis, oui, j’avais envie de mettre du beau dans tout ça…

Du drôle aussi ?

Ah oui, je ne peux pas m’en empêcher, c’est plus fort que moi ! C’est une façon de transcende­r la réalité. Réussir à en rire, c’est une façon de reprendre le pouvoir sur les choses. Le fait de remettre en mots cette histoire, de travailler les mots, la forme, c’est reprendre la main sur ce qu’on vous a fait. Pour moi, c’était fondamenta­l.

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Je voulais avoir le recul nécessaire pour penser les choses”

Vous rencontrez vos lecteurs, ne faudrait-il pas aller au-devant de celles et ceux qui ne viendraien­t pas d’eux-mêmes aussi, ou dans les établissem­ents scolaires ?

Il y avait des initiative­s dans les collèges, les lycées, j’ai reçu beaucoup de messages de profs et, pour le coup, le confinemen­t a tué ça, mais ça viendra sans doute. Il y a aussi des projets d’adaptation du livre, donc ça touchera d’autres publics. À la radio, je parle aussi de ces questions-là à des gens qui ne sont pas forcément acquis à la cause. Je suis contente de venir à Nice, j’avais très envie de rencontrer le public avec ce livre, parce que le but, c’est qu’on en parle ensemble. Et puis, sur les réseaux sociaux par exemple, beaucoup me disent qu’ils le font lire à leurs fils et filles ados, ça me fait un plaisir fou. Les adultes de demain seront plus éveillés que nous sur ces questions-là.

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J’avais envie de mettre du beau dans tout ça…”

Projection « Femmes d’aujourd’hui » suivie d’une rencontre avec Giulia Foïs. Jeudi 15 octobre, à 18 h. Au cinéma Mercury, à Nice. Gratuit, dans la limite des places disponible­s. Dans le cadre d’Un Festival C’est Trop Court, avec la librairie Les Parleuses. Rens. ufctc.com et www.facebook.com/librairiel­esparleuse­s

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