Nice-Matin (Cannes)

Romane Bohringer « Je voue vraiment une une obsession à ce texte »

Ce dimanche au Broc, la comédienne présentera L’Occupation, une pièce adaptée d’un roman d’Annie Ernaux, où il est question d’une quadra gagnée par une forme d’intense jalousie.

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Elle arpente les scènes françaises avec ce spectacle depuis un peu plus de deux ans. Rien de figé, cependant. Dans son esprit, en fonction de ses variations émotionnel­les, les mots d’Annie Ernaux, tirés de son roman L’Occupation, prennent une autre tonalité. Elle-même tourmentée par une séparation au moment des premières représenta­tions, Romane Bohringer opérait dans un registre «asseznoir» . Avec le temps, elle estime jouer avec « plus de légèreté, de recul ».

Après avoir ravi de nombreux spectateur­s et mis la critique dans sa poche, la comédienne se produira aux Arts d’azur, ce dimanche.

Est-il vrai que vous êtes devenue « accro » à Annie Ernaux ?

Oui, on peut dire ça. Après avoir lu L’Occupation, j’ai découvert toute son oeuvre. Elle m’a fascinée. C’est une grande femme, avec le regard d’une humaniste, une sociologue et une poétesse. Tous ses récits parlent de sa vie, ce sont des autofictio­ns. Mais on a l’impression qu’elle parle de nous à chaque fois. Dans L’Occupation, il y a cette dimension universell­e. Elle a une perception très juste, la fusion peut être totale. C’est le cas ici, où elle parle d’une histoire d’amour.

Avec Pierre Pradinas à la mise en scène, vous jouez sur du velours ?

C’est notre neuvième spectacle ensemble. Il est de ma famille de théâtre, on a fait beaucoup de choses différente­s : des vaudeville­s, de la comédie musicale... À chaque moment de ma vie et de ma carrière, j’ai appris énormément avec lui. Après avoir monté des pièces avec de grandes troupes, il avait envie de retrouver une forme plus petite, plus légère, avec de la musique.

Avez-vous tout de suite adopté le texte de L’Occupation ?

Un jour, Pierre a trouvé ce textelà. À l’époque, quand il me l’a fait lire, j’avais  ans. Annie Ernaux avait  ans quand elle a vécu cette histoire. Ça correspond­ait tellement à mon âge, à un moment de ma vie et à des sentiments qui me traversaie­nt... La catharsis a fonctionné avec moi. C’est comme si j’avais besoin de ce texte pour grandir, pour comprendre. Je lui voue vraiment une obsession. Les mots d’Annie Ernaux m’accompagne­nt beaucoup. Je la connais très peu, mais j’ai le sentiment qu’elle fait partie de ma famille.

Vous n’avez pas souhaité la rencontrer ?

Elle est venue voir le spectacle à Paris. J’étais très intimidée, aucun des mots que j’aurais pu lui dire n’aurait été assez fort pour lui dire à quel point elle a pris de la place dans mon existence. En revanche, je lui envoie très souvent des photos des théâtres qu’on traverse, etc.

L’Occupation n’était pas un texte destiné à être joué...

Non, ce n’est pas un récit écrit comme un monologue de théâtre. C’était excitant d’en faire quelque chose d’assez vivant, mouvant, scénique. On n’est pas du tout dans la lecture, on propose un spectacle.

Sur scène, on voit une femme se débattre avec son obsession, on la suit dans le gouffre dans lequel elle tombe. C’est un voyage dans la folie qui va la saisir pendant quelques mois, une aventure émotionnel­le. Avec moi, il y a un musicien sur scène, Christophe “Disco” Minck. On est dans un dialogue continu, supporté par de la vidéo.

Cette femme que vous incarnez délaisse son amant avant de devenir folle de jalousie...

Après dix-huit ans de mariage, elle a eu cette relation, mais elle n’avait pas tellement envie d’une vie commune. Elle a quitté cet homme, sans grand regret. Quand elle apprend qu’il va s’installer avec une autre femme, tout va changer. Elle va revivre cette histoire d’amour, va désirer à nouveau cet homme et devenir “occupée” par l’existence de la femme qui est avec lui. Annie Ernaux épuise le thème, elle le ronge jusqu’à l’os. Elle explore les affres de la jalousie, de la dépossessi­on de soi-même.

Le fait d’être seule en scène, hormis le musicien, vous attire ?

Je n’ai pas une affection particuliè­re pour ça au départ. J’aime l’esprit de troupe. Mais bon, il y a des moments où on rencontre un texte particulie­r et il faut y aller. Chaque soir, on a le sentiment de gravir une montagne, avec l’envie de faire mieux que la veille. C’est effrayant et grisant à la fois.

Vous êtes épanouie au théâtre ? Plus d’envies de cinéma ?

Le champ d’action n’est pas aussi large au cinéma. J’ai toujours des envies, j’aime rencontrer des cinéastes, je reste curieuse. Et quand j’ai la possibilit­é de jouer, j’y vais. Mais je dois avouer que rien n’est comparable à ce que j’éprouve sur scène. J’aime tout dans le théâtre. Après le confinemen­t, c’était extrêmemen­t fort d’y retourner. Au cinéma, on est souvent plus en quête du résultat que dans l’instant présent.

Malgré le contexte incertain, avez-vous enclenché des projets ?

Lundi prochain, je débuterai un tournage de trois mois pour Canal +. Je réalise la version série de L’Amour flou, que j’ai fait avec le père de mes enfants [Philippe Rebbot, ndlr]. C’est un gros truc, très excitant. J’ai écrit neuf épisodes de trente minutes. Ce sera la suite de nos aventures dans ce grand appartemen­t qu’on avait créé. Il y a aura sans doute plus de fiction que dans le film. Mais ça repose malgré tout sur notre vie quotidienn­e. J’ai retrouvé tous les comédiens du film, mon père jouer également dans cette série. Plus tard, on va aussi reprendre Le Moche ,la pièce de Pierre Pradinas, qui a été interrompu­e par le confinemen­t. On repartira en tournée l’année prochaine.

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C’est comme si j’avais eu besoin de ce texte pour grandir, pour comprendre”

Vous reverra-t-on sur scène avec votre père ?

On y pense souvent, mais c’est très difficile de trouver les justes choses pour nous. On ne veut pas la galvauder. Ensemble, on avait fait la pièce J’avais un beau ballon rouge, c’était extraordin­aire pour nous, ça restera un souvenir unique.

Dimanche 18 octobre, à 18 h. Les Arts d’Azur, au Broc. Tarifs : 15 €, réduit 10 Rens. 04.92.08.27.30. et lesartsdaz­ur.net

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