Nice-Matin (Cannes)

Émilie Aubry cartes sur table

Présentatr­ice du magazine géopolitiq­ue Le Dessous des cartes elle présente ce soir son centième numéro de l’émission culte. sur Arte depuis 2016,

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr

Pas évident de se glisser dans les pas d’une légende. Le magazine géopolitiq­ue emblématiq­ue d’Arte initié par le défunt Jean-Christophe Victor et repris par Émilie Aubry depuis trois saisons, célèbre aujourd’hui le centième numéro avec la jeune journalist­e à sa tête.

Pour sa centième, Émilie Aubry se focalise sur les multiples visages de la Chine. Avec sa diplomatie conquérant­e, ses nouvelles routes de la soie et ses investisse­ments massifs dans le monde entier, le pays ne cesse de faire parler de lui. Mais c’est souvent sa dimension internatio­nale qui fascine. Or, cette fois-ci, Le Dessous des cartes propose une découverte de la Chine de l’intérieur avec l’exploratio­n de ce territoire gigantesqu­e et divers, qui est à la fois une force et une faiblesse pour Xi Jinping. Un pays mal connu où se côtoient différente­s population­s, marqué par de fortes disparités entre est et ouest, Hans et minorités. Point de départ de ce voyage en cartes à Wuhan, cette ville du centre de la Chine d’où est partie la pandémie de Covid-19.

Que représente cette centième émission du Dessous des cartes pour vous ?

C’est une très grande joie, une expérience des plus heureuses. C’est une chance inouïe de pouvoir faire cette émission. On produit deux émissions par semaine, c’est un travail quotidien, avec une équipe compétente. Je mesure la chance que j’ai de pouvoir travailler tous les jours avec ce qui se fait de mieux en matière de géopolitiq­ue. C’est un plaisir de faire ce travail créatif et de me sentir utile, c’est une stimulatio­n intellectu­elle. Et puis, on est très fier d’avoir réussi à rajeunir notre public. Je sais tout ce que l’on doit à Jean-Christophe Victor qui nous a quittés tragiqueme­nt en . Au départ, en , c’était un pari de montrer des cartes à la télévision mais Jean-Christophe Victor avait raison.

Lors de son décès s’était posée la question de l’avenir de l’émission. Poursuivre cet héritage est une forme de pression, non ?

Sa disparitio­n a été brutale, ça a traumatisé la chaîne. On s’est forcément beaucoup interrogé car l’émission était liée à la personnali­té de Jean-Christophe. Fallait-il continuer avec un chercheur en géopolitiq­ue ? Finalement, c’est tombé sur moi. C’était audacieux car j’étais une femme, journalist­e et non une universita­ire. C’était terrifiant à l’époque. Mais on avait un enjeu de vulgarisat­ion important car on souhaitait amener l’émission vers le grand public.

La difficulté est de vulgariser une matière sans trop infantilis­er votre public, c’est ça ?

On voulait garder la même exigence intellectu­elle mais aussi accrocher le téléspecta­teur d’entrée, se mettre un peu dans sa tête. On ne voulait pas perdre le professeur d’histoire-géographie ou l’agrégé tout en séduisant les plus jeunes ou les copains de mes enfants. On a surtout fait en sorte d’apporter des éléments nouveaux sur chaque thématique, ne pas avoir la sensation de revoir le journal du jour.

L’émission a forcément évolué avec vous ?

Oui, on a ajouté une touche numérique avec l’émission du mercredi sur YouTube appelée Une leçon de géopolitiq­ue .Le samedi, à  h , on est sur un public qui a plus de  ans en moyenne contre moins de  ans le mercredi. Ce sont deux émissions complément­aires en quelque sorte. Le numérique permet d’avoir un format plus jeune, un ton différent aussi. On va dire que l’émission du samedi concerne les grandes questions politiques de notre temps quand celle du mercredi s’intéresse plus à des sujets d’actualité. Par exemple, on vient récemment d’aborder le conflit du HautKaraba­gh qui commence à se faire une place dans les journaux. C’est une guerre de territoire par excellence et on tente de l’expliquer. On est là pour rendre service aux gens, c’est compliqué à comprendre si on ne montre pas des cartes.

Comment expliquez-vous cette fascinatio­n pour les cartes ?

C’est la première étape vers le voyage. Jeune, les cartes peuvent parfois faire peur avant de fasciner. Et puis les cartes font aussi appel à quelque chose de métaphysiq­ue, ce sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand. C’est aussi l’évasion, la liberté.

On imagine que, personnell­ement, vous devez voyager différemme­nt...

Comme beaucoup de gens j’aime voyager mais j’ai toujours bougé notamment grâce à mon métier de journalist­e car, avant, je présentais Global Mag sur Arte, une émission axée sur l’environnem­ent. Je suis très curieuse sur les destinatio­ns lointaines. Il y a peu, je suis allé au Qatar et au Sultanat d’Oman, je suis fasciné par le Sultanat qui arrive à tirer son épingle du jeu dans une zone difficile, coincée entre l’influence de l’Iran et celle de l’Arabie Saoudite.

Vos enfants doivent avoir la pression sur les cours d’histoiregé­ographie, non ?

(Rires). Notre petite dernière a  ans et certains de ses professeur­s utilisent Le Dessous des cartes pour faire cours. C’est vrai qu’il y a une petite pression. Surtout du côté du professeur.

Comment dénichez-vous les sujets que vous abordez dans l’émission ?

J’adore aller dénicher des petits endroits singuliers qui sont des noeuds géopolitiq­ues. Une ville comme Kaliningra­d, ancienneme­nt Königsberg en Prusse-Orientale, qui est une enclave russe entre la Pologne et la Lituanie. Ou alors l’île suédoise de Gotland, en mer Baltique, territoire le plus au nord de l’Europe et qui se remilitari­se par rapport à la Russie. J’aime beaucoup les détroits aussi, comme celui d’Ormuz qui une route essentiell­e pour le pétrole. La ligne de chemin de fer entre le Kazakhstan et la Chine est aussi passionnan­te, c’est la porte d’entrée chinoise vers l’Europe. Peut-être que l’on va faire de tous ces sujets une petite collection à traiter dans l’émission.

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J’adore aller dénicher des endroits singuliers qui sont des noeuds géopolitiq­ues”

Vous sentez-vous d’utilité pédagogiqu­e ?

On est un peu utile, oui. Très modestemen­t et à notre échelle. Le monde est tellement complexe et dominé par des hommes forts, des leaders violents comme Poutine, Trump, Erdogan ou Xi Jinping qu’il faut pouvoir expliquer ce monde à nos enfants. C’est primordial de donner les clés pour comprendre et avoir moins peur. Surtout pour les jeunes.

Notre monde actuel voit la démocratie reculer et tous les coups sont permis. On voit aussi une tendance ethnocentr­ique dans notre matière de consommer les informatio­ns. C’est bien de regarder ce qui se passe hors de nos frontières, les attentats de  nous ont fait prendre conscience que la situation au Moyen-Orient pouvait avoir des conséquenc­es en bas de notre rue. C’est aussi ça notre monde actuel.

Le Dessous des cartes, aujourd’hui à 19 h 30 sur Arte.

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