La Tour St-Gabriel solitaire et oubliée
Ouvrage à vocation militaire n’offrant même pas un espace d’habitat, il a été construit du côté de Tarascon avec la finesse et la délicatesse d’un palais.
Àcinq kilomètres de Tarascon, sur la route d’Arles, posée sur une hauteur se dresse une construction qui semble oubliée. Proche de la chapelle Saint-Gabriel, cette tour solitaire qui n’a pas de nom propre est appelée Tour Saint-Gabriel. Peut-être un vestige du château templier de Lansac détruit vers 1360. Seul Prosper Mérimée avait en 1835, alors que l’archéologie médiévale
Un site important était encore balbutiante, remarqué le site qu’il a décrit en ces termes « derrière l’église, au sommet de la colline sur le penchant de laquelle elle est bâtie, s’élève une haute tour carrée, construite de grosses pierres en bossage. » Depuis, la tour est retombée dans l’oubli. Pourtant, située à l’extrémité orientale de la chaîne des Alpilles qui s’allonge entre Rhône et Durance, elle a dû constituer une place stratégique essentielle.
Une construction impressionnante
Grande masse blanche, illuminée par le soleil qui joue sur les pierres en bossages – saillies à la surface de l’ouvrage dans un but d’ornementation –, le monument se détache sur fond de verdure sombre, offrant une vision saisissante. En parvenant à son pied, on est pris d’admiration pour la beauté de l’édifice.
Si elle passe pour une construction romaine, elle ressemble plutôt à une oeuvre de la seconde moitié du XIIe siècle, voire du début du XIIIe.
Mais son caractère unique, la rend difficile à dater. La tour, sans ouverture, a été bâtie directement sur le rocher, taillé en talus. À droite de la porte, ouverte de plain-pied et large seulement de 0,80 m, un large fossé, taillé dans le roc, mais maintenant presque comblé, complète l’ensemble de cette fortification qu’il enferme dans un grand carré.
Il n’aurait constitué qu’un obstacle illusoire, si la défense n’avait été complétée au sommet par quelques bretèches ou des hourds – ouvertures de défense – permettant un tir vertical sur les assaillants qui auraient voulu forcer l’entrée. Deux autres tours carrées, d’un diamètre moindre, aujourd’hui presque entièrement ruinées, étaient placées de chaque côté de la tour principale. Elles ont été dressées en son devant, probablement au XIVe siècle, en complément de défense.
Un triomphe de la pierre taillée
Par son magnifique travail de la pierre, la tour est un pur chefd’oeuvre, preuve de l’incomparable maîtrise des tailleurs de pierre qui s’est toujours affirmée en Provence de l’emprise romaine au XVIIIe siècle.
Les pierres, qui proviennent des carrières de Fontvieille situées à environ 6 kilomètres, sont de différentes dimensions. Certaines mesurent 0,50 m de longueur et 0,30 m de hauteur. Celles placées en angle n’ont pas moins de 1,10 m de longueur, 0,32 m de hauteur et 0,52 m d’épaisseur. C’est considérable. Les parements sont faits de pierres à bossages plus ou moins saillantes et ciselées en relief discret. Le maître d’oeuvre aurait pu adopter le parti d’un mur lisse, mais il s’est complu dans des bossages de luxe, si remarquablement affinés et si bien assurés qu’ils ont certainement nécessité l’emploi d’ouvriers très spécialisés. D’ailleurs, l’emploi des pierres à bossages dans l’architecture militaire médiévale pose bien des questions. Peutêtre permettaient-elles de faire ricocher les boulets des pierriers, renforçant ainsi la protection des murs ?
Argument peu crédible, car une saillie n’ajoutait rien à un mur déjà épais de plusieurs mètres. En revanche, les aspérités pouvaient favoriser la pose d’échelles pour l’escalade et permettre de grimper à des soldats bien entraînés et légèrement équipés. En fait, il y a dans cette tour d’incontestables émanations d’Antiquité. Rien d’étonnant puisque la région fut vraiment pétrie de romanité. Sans être taxés d’être des copistes de l’Antiquité, les maîtres du Moyen Âge lui ont emprunté ce qui leur paraissait techniquement et esthétiquement le meilleur, réalisant à l’instar de cette tour, de véritables morceaux choisis.
comme avant-poste au XIVe siècle
Source : Monuments méconnus de Provence par Henri-Paul Eydoux, éditions académiques Perrin, 1978.