Nice-Matin (Cannes)

Erik Orsenna : « Le cochon est notre laboratoir­e »

Décortique­r le cochon pour mieux parler de son grand prédateur, l’homme. Dans un essai étonnant, l’écrivain rend hommage à cet animal qui fut le premier à être domestiqué

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE MINARD/ALP

Du jarret à la valve cardiaque, il nous offre beaucoup. Et nous lui demandons souvent trop ! Rencontre avec l’écrivain et membre de l’Académie française Erik Orsenna, qui nous parle de son dernier livre Cochons, voyage aux pays du vivant.

Vous avez choisi de raconter le cochon, sa vie, son oeuvre (). C’est un prétexte pour rappeler que les humains ne sont pas les seuls propriétai­res de la Terre ?

Exactement. Un écrivain a toujours besoin d’un personnage. Avec le moustique, j’avais trouvé un premier personnage pour expliquer la mondialisa­tion de la santé ? Depuis plusieurs années, je travaille sur une maladie qui touche uniquement le cochon, la peste porcine, et qui a décimé des millions de bêtes. J’aime donc le cochon comme personnage mais aussi comme nourriture. Grâce au cochon, on peut fabriquer  produits ! Je rappelle qu’il est la première viande consommée dans le monde, malgré les interdits musulmans et juifs, avec environ un milliard de porcs par an. C’est donc un produit économique important. C’est aussi l’histoire d’un compagnonn­age avec l’homme.

Quand a-t-il été domestiqué par l’homme ?

Le vrai début, c’est il y a huit ou neuf mille ans. Et ce fut le premier animal élevé. Bien avant les chiens et les chats. Au lieu de courir partout pour se nourrir les êtres humains se sont mis à planter au lieu de cueillir et à élever plutôt que chasser. C’est le début de l’agricultur­e et de l’élevage moderne. Pour échapper à une surpopulat­ion, ces habitants de la Mésopotami­e sont partis vers l’Ouest avec leurs cochons qui ont alors frayé avec des animaux sauvages. Si bien qu’aujourd’hui, les seuls porcs héritiers directs des porcs mésopotami­ens sont les cochons corses.

Une mutation géographiq­ue qui a également influencé l’Histoire de France...

C’est au cochon que l’on doit le bleu de notre drapeau national. Le fils aîné de Louis VI s’est tué à cheval à la suite d’une collision avec un cochon et c’est son frère qui est devenu roi sous le nom de Louis VII. Pour s’extirper de cette malédictio­n, on a donné au drapeau la couleur de la vierge, le bleu.

Pourquoi le cochon est il l’animal le plus proche de l’homme ?

Quatre-vingt-quinze pour cent de nos gènes sont communs avec les siens. Il a de plus des organes comme les nôtres, disposés de la même manière avec la même fonction. Raison pour laquelle on greffe des milliers de valves cardiaques porcines sur les êtres humains. Même chose pour l’insuline et pour les travaux sur les microbiote­s. Le cochon est notre laboratoir­e. On le calibre à notre usage, pour qu’il ait exactement la bonne taille.

En Chine, l’expression élevage hors sol prend tout son sens ?

Il y avait encore récemment en Chine des centaines de milliers d’élevages de porcs familiaux, sans aucune sorte de contrôle sanitaire, dans les mêmes conditions qu’au Moyen Âge. Dès que la peste porcine s’est déclarée, l’armée est intervenue, a creusé des trous et a balancé tous les cochons malades ou suspects dedans. Des images terrifiant­es ! Les Chinois se sont alors dit : « On va faire l’inverse du traditionn­el » et se sont mis à faire de l’industriel. À la chinoise. Ce qui donne aujourd’hui   truies par unité sur  étages ! Avec des ascenseurs, des tuyaux qui aspirent tout, des machines qui donnent à manger. Et des bêtes qui ne voient jamais le jour.

C’est ce qui pour vous incarne tous les dérèglemen­ts, à savoir l’élevage industriel, la maltraitan­ce, la pollution ?

Dites-moi comment vous traitez le cochon et je dirai qui vous êtes. Il y aura de fait à terme une logique à manger de moins en moins de viande. Quand on élève et tue le cochon, faisons-le dignement ! Respectons-le et donnons-lui une vie avant que sa mort ne survienne. Cela passe par l’organisati­on des prix. Si vous avez  truies et que vous voulez les élever en plein air, ça coûte   euros. Est-ce que le consommate­ur est prêt à payer sa viande plus cher ? Les éleveurs sont victimes d’injonction­s contradict­oires, ce qui rend fou. Il n’y a rien de plus

‘‘ insupporta­ble que les citadins qui donnent des leçons de nature aux agriculteu­rs.

Beaucoup de ces citadins prônent justement un monde sans élevage…

Un monde sans élevage, c’est un monde sans animaux. Comment va-t-on se nourrir pour avoir les protéines nécessaire­s ? On va produire du soja, d’accord. Mais si pour sauver les animaux d’élevage, on tue les forêts et les animaux sauvages… C’est une vision urbaine et morcelée des enjeux. Si je devais refaire une thèse d’économie aujourd’hui, elle porterait sur la différence entre le prix et le coût. Le coût c’est l’ensemble, le prix c’est ce que donne le marché. Ce qui me rend fou également, ce sont les tricheries sur les appellatio­ns. Il faut dire, par exemple, que le fameux jambon d’Aoste est fabriqué en Isère. Ce sont les producteur­s qui trichent !

Peut-on dire que nous avons fait du cochon notre garde-manger, notre doublure mais aussi notre souffre-douleur ?

Bien sûr, car on considère que c’est notre chose. Quand on voit ces élevages en Chine, on ne gère plus un animal, mais une sorte d’usine à protéines. On le considère comme une chose qui fait partie de la continuité. J’aime cette phrase de Diderot qui dit :

« Nous avons pris les animaux en pensant que nous avions des rapports de contiguïté avec eux. » C’est-à-dire à côté. Les vrais rapports sont des rapports de continuité. On est pareil puis il y a des métamorpho­ses. D’où la conclusion de mon livre sur l’idée de planète associée et surtout pas avec des humains qui pensent avoir le monopole du vivant.

Être un cochon, c’est mal se tenir, à table ou au lit… Or, c’est plutôt le contraire ?

C’est incroyable ! On lui confie le fait de nous débarrasse­r de nos ordures et on l’accuse après d’être sale ! Je raconte l’histoire invraisemb­lable du Caire où les Coptes, qui ne sont pas musulmans, élèvent des cochons. En , les islamistes durs, pour atteindre les Coptes, ont tué tous les cochons, considérés comme impurs. Ils se sont rendu compte après d’une catastroph­e absolue, car le Caire est devenu une poubelle. Ce sont les cochons qui nettoyaien­t la ville ! Quant au

‘‘

Il y aura à terme une logique à manger de moins en moins de viande”

Dites-moi comment vous traitez le cochon et je dirai qui vous êtes”

comporteme­nt sexuel, l’acte ayant aussi longtemps été considéré comme impur, on l’a associé au cochon. Il y a peut-être une jalousie des hommes car il produit beaucoup plus de sperme que nous. (rires)

Et que dites-vous de l’appellatio­n « balance ton porc ? »

C’est une diffamatio­n pour les cochons. Ces hommes qui se conduisent si mal ne méritent pas l’appellatio­n de porc. L’être humain est capable de bien pire que n’importe quel animal !

Cochons, voyage aux pays du vivant (Fayard). 395 pages. 22 euros.

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