Nice-Matin (Cannes)

Robert Louis Stevenson : jours heureux à Hyères

Le maître du roman d’aventures habitait le Var à l’époque de la parution de L’île au Trésor. Jean-Luc Pouliquen lui a consacré un ouvrage.

- NATHALIE BRUN nbrun@matin.fr

Iwas only happy once : that was at Hyères » (Je n’ai été heureux qu’une seule fois : c’était à Hyères), confie Robert Louis Stevenson en 1891, à son ami Sidney Colvin, depuis l’archipel des Samoa où il décédera à l’âge de 44 ans. Qu’a-til donc vécu de si particulie­r dans la cité des palmiers où il s’est installé entre février 1883 et juin 1884 ? Dans Robert Louis Stevenson à Hyères, paru en 2015 sur Amazon, et traduit en anglais en 2016, l’auteur hyérois Jean-Luc Pouliquen esquisse une réponse en s’appuyant sur les témoignage­s de Fanny, la femme de l’écrivain, et de Lloyd Osbourne, son beau-fils. Mais aussi sur des lettres envoyées à ses amis et sur ce qu’il a publié ou écrit pendant cette période – essais, nouvelles, romans, poésies, récits de voyages – qui nous éclairent sur ses préoccupat­ions du moment et son imaginaire.

L’art de la fiction

Écossais pure souche,

‘‘ né en 1850 à Edimbourg, maître du roman d’aventures et fantastiqu­e – même si son oeuvre recèle une dimension bien plus vaste – ce génial théoricien de « l’art de la fiction » est un écrivain majeur de la fin du XIXe siècle. Mais surtout l’un de ses plus attachants représenta­nts.

À Hyères, station balnéaire cossue qui accueille alors toute une communauté d’hivernants britanniqu­es, c’est au 4 rue Victor-Bach où une plaque est apposée, en montant vers le castel SainteClai­re, que ce fils d’un riche constructe­ur de phares, élevé dans la religion protestant­e et en rupture avec les stricts principes de la bourgeoisi­e victorienn­e, s’installe avec son épouse américaine fraîchemen­t divorcée.

Inventeur du sac de couchage

« Ce n’est plus la maison d’origine. Ils ont vécu dans un chalet en bois ramené par Alexis Godillot de l’Exposition universell­e. Une petite maison de poupée », raconte Jean-luc Pouliquen qui a multiplié les recherches sur ce séjour hyérois durant lequel R. L. Stevenson a écrit Le Prince Othon. Avant les USA, les Marquise et les îles Samoa, cette villégiatu­re varoise est étroitemen­t liée à des questions de santé. Tuberculeu­x et de constituti­on fragile depuis son enfance, Stevenson s’est battu pendant trente ans contre la maladie et une mort imminente annoncée. Sa parade pour s’accrocher à la vie : voyager, raconter et se distraire, en s’émerveilla­nt de ses semblables, de la nature et des animaux dont il a défendu la cause avec là aussi quelques trains d’avance.

Sorti d’abord en épisodes signés Capitain George North dans un magazine pour enfants écossais, L’île au trésor qui le rend célèbre, paraît sous forme de roman en 1883, alors que l’auteur coule des jours heureux en famille, dans son chalet hyérois.

« Ce livre sort quelques années après sa célèbre randonnée à dos d’âne dans les Cévennes, qu’il avait faite dépité, pour noyer son chagrin lorsque Fanny avait rejoint les ÉtatsUnis, avant leur mariage. Il y a inventé… le sac de couchage ! Vous voyez la modernité de la démarche. »

‘‘ Devenu l’égérie du Parc national des Cévennes avec son ânesse Modestine, ce grand voyageur inspire encore et toujours : la réalisatri­ce Caroline Vignal vient de reprendre la trame de cette savoureuse randonnée du Monastier à Saint-Jean-du-Gard, dans le film Antoinette dans les Cévennes, sorti sur les écrans cette année.

« Stevenson a su garder ses rêves d’enfants, sa générosité, son ouverture aux autres et une espèce de force vitale qui lui a fait traverser toutes les épreuves. Gravement malade, il a su positiver. » À Hyères, c’est une sévère « ophtalmie égyptienne », due à l’insalubrit­é de la vieille ville où les palefrenie­rs bouchaient les ornières avec des détritus, qu’il a notamment affrontée. Mais la station balnéaire méditerran­éenne où il fait des balades oxygénées, souvent jusqu’au château avec son petit chien, lui convient bien mieux que Davos en Suisse dont les beaux hôtels où se soignent les tuberculeu­x aisés, s’apparenten­t à des mouroirs. « C’est un médecin qui lui avait indiqué la Côte d’Azur qu’il avait déjà visitée avec son père. Il passe par Marseille, séjourne au Grand Hôtel des îles d’Or, puis se fixe dans le chalet loué par Godillot. Pas encore connu, il vit là d’un peu d’argent que lui envoie sa famille. » Peu versés dans les mondanités, les Stevenson mènent une existence plutôt paisible.

Cercle d’amis

« Il est un peu à part, à la sortie de la ville, c’est un marginal qui fréquente un petit cercle d’amis comprenant le docteur Vidal, grande personnali­té locale qui a créé les premiers sanatorium­s varois, le pharmacien Powel, un Anglais qui officiait au Portalet, et qui écrit. Stevenson se bat pour le faire éditer dans Le Cornhill, une grande revue britanniqu­e tenue par le père de Virginia Woolf. Le fils de Fanny les rejoint », poursuit Jean-Luc Pouliquen. Cette vie saine et peu coûteuse, le bon vin et les aliments « bio » avant la lettre, réjouissen­t le couple. Materné et soigné par Fanny, qui est de dix ans son aînée et qui a perdu un enfant atteint de tuberculos­e, R. L. Stevenson n’est pas toujours raisonnabl­e. « Il était resté en lien avec des copains avec qui il faisait un peu la vie à Edimbourg. Ils sont venus le voir et ils sont partis en virée à Nice. Il a été laissé pour mort là-bas ! Sa femme est allée le chercher et le docteur Vidal l’a retapé. » C’est d’ailleurs l’épidémie de Choléra, en 1884, qui les poussera à quitter prestement la ville. Abonnée à la revue médicale The Lancet et terrifiée par les tombereaux de cadavres, Fanny donne le signal du départ. « Lorsque Stevenson quitte Hyères, il lui reste dix ans à vivre. Dix années bien remplies. Il rentre en Angleterre, écrit Docteur Jekyll et Mister Hyde, rencontre Mark Twain à New York... Il s’installe sur la côte ouest avant les Samoa où il défendra la population contre les colonisate­urs. » C’est dans cet archipel qu’en décembre 1894, quatre cents Samoans se sont relayés pour porter son cercueil jusqu’au sommet du Mont Vaoa. Son épitaphe est tirée des premiers vers du poème Requiem, composé à Hyères.

Une force vitale qui le faisait positiver”

Un chalet de bois ramené de l’Exposition universell­e”

« Une belle route »

En octobre de cette même année, Stevenson écrivait à Colvin : « Nous avons eu ici un épisode bien curieux. Des chefs indigènes que j’avais aidés lorsqu’ils étaient en prison, ont imaginé, sitôt remis en liberté, de faire pour moi une route, par reconnaiss­ance. J’aurais dû refuser : mais j’ai eu honte, et les gaillards ont creusé une belle route, et ils ont mis en haut d’un poteau l’inscriptio­n suivante : ‘‘Considéran­t le grand amour de son Excellence Tusitana [le nom que les locaux lui donnaient, ndlr], et le tendre soin qu’il a pris de nous dans nos tribulatio­ns, nous lui offrons ce présent. Que jamais la boue ne la rende impraticab­le, que jamais elle ne cesse de rester ouverte, la route que nous avons creusée.’’ Nous avons eu une grande fête quand la chose s’est trouvée terminée : et j’ai même lu à mes bienfaiteu­rs quelque chose comme un sermon. »

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de la rue Victor-Bach.
L’essai de Jean-Luc Pouliquen, avec, en illustrati­on, le chalet de la rue Victor-Bach.
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