Nice-Matin (Cannes)

« Le Pelé du journalism­e »

Plume exceptionn­elle des pages sports de Nice-Matin pendant 38 ans (de 1956 à 1994), Julien Giarrizzi nous a dit adieu, hier, dans son quartier niçois. Il était le talent, le sourire et la vie

- PHILIPPE CAMPS

On l’a applaudi. Julien Giarrizzi aurait mérité une ovation. Les hommes comme lui devraient partir sous les bravos, dans le bruit, le tumulte et les fumigènes. Un regret : celui de ne pas avoir fait péter deux ou trois bombes agricoles. L’abbé Pierre Antoine aurait compris. Et pardonné. On s’est rattrapé en chantant Nissa La Bella. Dans le coin, ça n’a choqué personne. On était rue Beaumont. Dans son quartier nissart. A deux pas de sa bienaimée place Arson. Là, où il jouait à la longue avec ses amis. La famille a habité rue Smolett, rue Scaliero, Place des Cigalusa et boulevard Lech Walesa. Bref, les Giarrizzi ont fait tous leurs déménageme­nts à pied. Làbas, Julien était plus populaire que le maire. Il se serait présenté à Nice-Est, il aurait été élu dans un fauteuil.

Ce texte, c’est du Giarrizzi !

Toute sa vie, Julien Giarrizzi a passé ses samedis au stade. Normal pour un journalist­e sportif. Hier, il était à l’église Saint-Joseph. Il est même arrivé en avance. Une incongruit­é quand on sait qu’il débarquait au Ray ou au Louis-II à l’heure pile du coup d’envoi. Il avait trop de talent pour ressentir la pression. Sa fille n’a pas de carte de presse, mais elle a son génie de l’écriture. Drôle, touchant, inspiré, émouvant, irrésistib­le, poétique, son texte aurait pu être signé JG. Ce qui veut tout dire. Un extrait : «Je suis là un peu par éliminatio­n. Maman voulait citer du

Leo Ferré : ça n’allait pas alléger l’ambiance. Et mon frère plaisante tellement ces derniers jours que ça risquait d’être déplacé. Quant aux trois petits-enfants, désormais jeunes adultes, ils ont hésité. Mais bon, le cercueil, le décorum : tout ça n’est pas bon pour Instagram. Papa aurait détesté un hommage larmoyant. Si on l’avait écouté, on serait entré dans l’église sur ‘‘Just a gigolo’’. Il était la sagesse, la générosité et la bonne humeur. Il a été une référence dans son métier. C’était sa passion. Juste après ma mère, mon frère et moi, j’espère... Quand il n’écrivait pas, il jouait de l’accordéon enfermé dans la salle de bains car nous apprécions peu cet instrument. Ou il se mettait en cuisine pour nous préparer des tripes à la niçoise. En cas de coups durs, il nous conseillai­t de prendre de la hauteur. Je suis fière d’être sa fille. » Elle peut l’être. C’était réciproque. Médecin généralist­e, Gisèle, alias Kikine, pourrait tout aussi bien être titulaire en tribune de presse. Comme son frère Julien qui pousse la ressemblan­ce avec le paternel jusqu’au bout des phrases et du timbre de voix.

Pluie d’hommages

Les petits-enfants (Marie, Lea et Thomas) savent maintenant que leur grandpère - qui est parti à 92 ans - était un géant. Ils n’ignorent plus qu’il était aimé et admiré. « A une époque, j’achetais le pain et je lisais Julien. Mes journées ne pouvaient pas commencer autrement », nous a dit un jour un lecteur. Les gens achetaient Nice-Matin pour lui. Lui qui avait l’art de raconter les matchs, les hommes et les vies.

Depuis son départ, les portables ne cessent de sonner. Jean-Louis Campora, Arsène Wenger, Jean Tigana, Dominique Baratelli, Delio Onnis, Jean Petit, Carlos Bianchi, Maurice Serrus, Jean-Noël Huck, Daniel Sanchez, André Amitrano, René Bocchi, Eric Roy, Fred Gioria, Eric Buchet. Une pluie de messages. Un déluge d’hommages. Logique, c’était un personnage.

Salut les ptits cocos

Hier, malgré les masques, nous avons reconnu JeanClaude Darmon, Jean-Philippe Rohr, Franck Balabanian, Roger Corbucci, Diego Noto, Charles Bébert, Edmond Ardissone, Coco Orsini, Albert Goldberg, mais aussi les ‘‘historique­s’’ de Nice-Matin (Roger-Louis Bianchini, Jacques Gantié, Christian Perrin, Thierry Buchet...) et d’autres, tant d’autres. Les pensées de Jean Chaussier ou Thierry Virorello, bloqués dans les Landes et en Corse par le confinemen­t, occupaient également l’endroit et l’instant. « J’ai gardé tous les papiers de Julien Giarrizzi de mon époque au Gym. Le lendemain des matchs, j’attendais son ‘’Jeu et Joueurs’’ avec une folle impatience. Julien, c’est le Pelé du journalism­e. Plus tard, il est devenu mon ami. Tous les jeudis, je déjeunais chez lui. Un régal. Jamais je n’oublierai son sourire et son regard sur les choses », souffle Jean-Philippe Rohr, exmilieu de Nice et Monaco, champion olympique avec les Bleus de France aux JO de Los Angeles en 1984 . Julien Giarrizzi ne racontera plus ses dîners à la Chunga chez Riri Gastaud ou chez Cesar à l’Univers. Il ne nouera plus sa cravate en tricot. Il ne démarrera plus la Volvo qu’il avait achetée jadis à Leif Eriksson. Il n’écoutera plus l’accordéon de Riri Biagini. Il ne décrira plus les tirs de Granaglia, légende du jeu de boules. Il n’hésitera plus entre son imper beige et son manteau bleu marine. Il n’appellera plus Coco pour lui souffler son envie d’un tartare ou d’une pizza. Il ne parlera plus de Pelé, Sivori, Amalfi, Bonifaci, Cruyff, Platini, Skoblar, Onnis, Bianchi ou Bjekovic. Il ne fera plus marcher son réseau pour avoir un scoop ou une info. Il ne dira plus « Salut les ptits cocos ! ». Il n’écrira plus d’un mauvais défenseur qu’il a un sens du placement qui ruinerait un pays riche. Il ne nous demandera plus de chanter Aznavour au bout du fil. Il ne confiera plus que nos pages sports sont formidable­s. Mais il est là. Pour toujours.

Entre stars...

Jean-Claude Darmon : « Julien, mon grand frère »

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C’est en l’église Saint-Joseph que famille et amis ont salué une dernière fois Julien Giarrizzi. Sa fille Gisèle a fait un discours inoubliabl­e. Jean-Philippe Rohr ou Albert Goldberg n’oublieront pas ‘’Juju’’. (Photos S. Botella)
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