« Un phare dans ma vie »
À bord du Seaexplorer-Yacht Club de Monaco, le skipper allemand Boris Herrmann va se frotter pour la première fois au légendaire « Everest des Mers ». Son défi sera aussi scientifique
L’histoire naissante entre Boris Herrmann et le Vendée Globe est marquée du sceau de l’inédit : avec cette première participation à l’épreuve, le skipper devient l’unique Allemand dans l’histoire de la course à prendre le départ. C’est aussi la première fois qu’un bateau représentera Monaco. L’aboutissement « du rêve d’une vie » mais aussi d’une aventure collective incroyable, née il y a quatre ans d’une rencontre avec Pierre Casiraghi, le neveu du prince Albert II. Dans un français parfait et avec un enthousiasme communicatif, Boris Herrmann s’est confié par téléphone une semaine avant le Grand départ. Celui qui avait fait parler de lui en pour avoir convoyé la jeune et célèbre militante écologiste Greta Thunberg de Plymouth à New York venait de quitter son domicile d’Hambourg, sa femme et sa petite fille de mois pour rejoindre par la route les Sables- d’Olonne, où il devait purger une semaine d’isolement.
Vous avez plusieurs fois tenté de participer au Vendée Globe, et ça ne s’était pas fait. Aujourd’hui, c’est un rêve qui se réalise ?
Je pense que pour tout jeune navigateur, c’est le rêve d’une vie, un phare qui m’attire depuis toujours. On n’est jamais certains d’y arriver. Je l’ai poursuivi pendant beaucoup d’années mais sans forcer. J’ai avancé petit à petit, j’ai navigué avec d’autres skippers, avec d’autres équipes. Pierre Casiraghi a été à l’écoute de mon projet, ce rêve l’a inspiré aussi.
Il y a quatre ans, à la création du team Malizia, arriver jusqu’ici vous semblait possible?
On a commencé par naviguer sur le circuit GC avec des catamarans volants.On a fait ça pendant deux ans. Ce n’était ni prévu, ni certain d’aller plus loin. C’était une envie commune, mais ce n’était pas le but principal au début. On voulait régater correctement avec une bonne équipe et c’est ce qu’on a fait. C’est aussi ce qui nous a permis de monter le projet Vendée Globe parce que cela nous a rapprochés de partenaires, on a pu montrer qu’on pouvait faire des choses bien. On a installé une relation de confiance.
Vous dîtes que Pierre Casiraghi vous a montré qu’il n’y a pas qu’un seul chemin et qu’on peut parfois oser un peu plus…
On est assez complémentaires. J’ai toujours suivi un schéma plus classique. J’avais tendance à m’inspirer de skippers de métier comme Michel Desjoyeaux ou Loïck Peyron, leur demander des conseils. Parfois, ça peut te bloquer dans un cadre trop strict, trop professionnel, trop exigeant. Mais tout le monde n’est pas Michel Desjoyeaux (rires). Pierre m’a dit « On peut le faire avec moins de moyens si on a assez d’envie. On va s’investir à fond, on va travailler les week-ends, on va s’occuper de la maintenance du bateau avec une toute petite équipe ». Son pragmatisme nous a beaucoup aidés à ne pas douter.
Vous menez avec cette course un double combat sportif et scientifique. Racontez-nous.
J’aurai à bord du bateau un laboratoire automatisé. /, j/. Il va récolter des données scientifiques très précises sur les océans et les conséquences du réchauffement climatique : la température de la mer, la salinité, le pH et la concentration du CO dans l’eau afin de les transmettre aux scientifiques. Ce sera une première de récolter des infos en continu tout autour du monde, dans des zones difficilement accessibles. Notre petit voilier se transforme en bateau de recherches, ça a du sens et me donne encore plus envie d’aller au bout.
Ce serait quoi une course réussie pour vous ?
Arriver, revenir avec les données scientifiques qu’on veut mesurer, avoir inspiré des enfants à l’école et ensuite avoir joué un rôle dans la régate. Pas forcément en tête mais dans un bon groupe. Peu importe où on se bagarre. La place finale dépendra de beaucoup de choses… La chance des uns et des autres, les abandons, la météo, mon intuition… Je ne suis pas trop focalisé làdessus. Il ne faut pas oublier qu’historiquement, la moitié des navigateurs au départ n’arrive pas.
Le Seaexplorer est capable de rivaliser ?
Oui. Pas toujours dans toutes les conditions. On a des foils plus modestes qui ne sont pas aussi performants dans le petit temps que ceux des bateaux plus récents. Mais ils sont plus maniables et apportent plus de sécurité. Ce qui devrait me permettre de me rendre plus sereinement dans les mers du sud. Ce bateau, je le connais parfaitement. Je suis assez confiant. J’ai de bonnes sensations. Personne n’a navigué plus que moi lors de la préparation ( milles nautiques, l’équivalent de transats).
C’est la première fois que vous allez faire un Tour du monde en solitaire… Que redoutez-vous le plus ?
Le manque de partage avec d’autres personnes risque d’être compliqué, de me rendre triste parfois. Mais on partagera des moments à travers des vidéos. Seul, je vais pouvoir rentrer en harmonie avec le bateau, avec la nature, avec les éléments. Il y aura des hauts et des bas, ça fait partie de l’aventure.
Il y a cette route des trois caps et surtout ce fameux Cap Horn…
Le Cap Horn, c’est un peu l’icône de la course, c’est le point le plus au sud où on va passer. degrés sud. C’est là qu’il y a les plus grandes tempêtes, les vagues les plus hautes. Il n’y a pas d’échappatoire. Une fois qu’on y est, on ne peut pas changer de cap vers le nord sous peine d’être piégé près des côtes chiliennes. Là-bas, il faut vivre avec la météo qu’on rencontre, alors qu’ailleurs on essaie plutôt d’éviter les grands coups de vent, et les dépressions trop fortes. Au Cap Horn, on ne peut pas se dérouter. On prie pour que ça se passe bien.
En combien de temps prévoyez-vous de terminer la course ?
J’ai de la nourriture pour jours. Je peux l’étalonner sur jours s’il faut. Bien sûr, j’ai espoir de le faire en jours. On verra bien.
Il faudra bien négocier le départ…
Oui, il faudra être calme. Ça ne changera rien d’être devant ou derrière. Il ne faut surtout pas prendre de risques. bateaux sur une ligne au départ, c’est du jamais-vu.
Cet amour de la mer, il est né comment chez vous ?
J’ai grandi avec l’eau. J’ai toujours habité pas très loin de la côte. Tous les weekends, toutes les vacances, après l’école, j’allais naviguer sur la mer ou sur les lacs. J’avais six semaines quand mes parents m’ont mis pour la première fois sur un bateau. Mon père adorait ça. Cet amour de la mer, il est né naturellement, sans pression avec un certain esprit de l’aventure.
Vous avez des idoles ?
Bien sûr. À ans, j’ai lu très tôt les livres de grands navigateurs… Bernard
Moitessier, Eric Tabarly… Ça m’a permis de m’évader, de rêver, de me sentir libre. Je m’imaginais partir en mer, ça a inspiré la vie que j’ai aujourd’hui.
Vous êtes le premier Allemand à participer au Vendée Globe dans l’histoire de la compétition…
C’est une immense fierté. Je me suis immergé dans la culture française depuis tant d’années maintenant. J’ai pu voir comment les Français menaient leurs projets, s’occupaient de leur bateau, naviguaient… La rencontre avec Pierre Casiraghi a été un tournant. On a partagé un état d’esprit qui aurait peut-être été différent si je n’avais jamais vécu en France. Tout ça fait partie d’un cheminement personnel. En Allemagne, on ne parle pas trop du Vendée Globe. Ce n’est pas facile de convaincre des partenaires. Mais je suis sûr que ça ne sera pas la dernière participation allemande. J’espère inspirer des enfants.
Vous allez représenter la Principauté de Monaco, pour qui ce sera également une première.
‘‘ J’espère inspirer des enfants ”
J’ai eu la chance de passer beaucoup de temps à Monaco, d’apprendre à connaître sa culture, son histoire, son engagement pour les océans. Je suis très fier de représenter la Principauté. « On est un tout petit pays mais on peut faire tellement de choses. On est ambitieux, on a un esprit libre. », m’a dit un jour Pierre. C’est quelque chose que j’ai rarement voire jamais ressenti ailleurs.