Nice-Matin (Cannes)

« Non au confinemen­t sanitaire pour tous »

Un collectif de médecins, représenta­nts de tous les établissem­ents publics et privés manifeste son opposition à la déprogramm­ation massive de soins non urgents

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Bis repetita. En mars dernier, alors que certaines régions faisaient face à un afflux massif de malades graves de la Covid-19, le ministère de la santé avait ordonné la déprogramm­ation de tous les soins non urgents. Et tous les établissem­ents de santé des Alpes-Maritimes – même si le départemen­t était relativeme­nt épargné par cette première vague - avaient obéi, le doigt sur la couture du pantalon. Blocs opératoire­s fermés, chirurgien­s désoeuvrés et surtout patients confinés à domicile, avec un accès aux soins (non urgents) très limités. Vendredi dernier, alors que la région Provence-Alpes-Côte d’Azur est confrontée à une vague bien plus haute que la première, le dernier palier (palier 5) était activé, et l’ordre était à nouveau donné aux hôpitaux et cliniques privées de tout stopper hormis le traitement du cancer, les greffes, les IVG et quelques autres soins considérés comme urgents. Soit plus de 90 % de l’activité chirurgica­le. Mais, là, la décision est bien plus mal accueillie qu’elle ne l’a été en mars dernier dans les Alpes-Maritimes, qui restent aujourd’hui le départemen­t le moins touché de la région. Porté par le Dr Jérôme Barrière, président de la CME (commission médicale d’établissem­ent) de la polycliniq­ue Saint-Jean à Cagnessur-Mer, un collectif s’est aussitôt constitué. Et d’une même voix, tous les présidents de CME des hôpitaux et des cliniques du 06 réclament que cette déprogramm­ation soit davantage ciblée, en accord avec les acteurs de terrain. Une demande rejetée par le directeur général de l’ARS Paca qui appelle à la solidarité régionale. Tout en « comprenant la nécessité de cette solidarité », les membres du collectif appellent au « risque de l’abandon de la filière non Covid ». Ils ont trouvé hier le soutien d’Éric Ciotti : le député, également rapporteur de la commission d’enquête Covid-19 a demandé à Olivier Véran de limiter au maximum les déprogramm­ations des activités médico-chirurgica­les non urgentes

Des transferts des Hautes-Alpes et du Vaucluse vers le 

On apprenait hier soir que des malades des Hautes-Alpes et du Vaucluse allaient être transférés dans les Alpes-Maritimes. Ils seront accueillis dans des hôpitaux ainsi que des cliniques privées. en favorisant la coopératio­n entre établissem­ents publics et privés pour prendre en charge tous les patients, Covid et non Covid.

Rencontre avec le Dr Jérôme Barrière, à l’initiative de ce collectif.

L’ARS reproche aux établissem­ents de santé des Alpes-Maritimes de ne pas « jouer collectif », alors que les départemen­ts voisins vivent une situation de grande tension. Que répondez-vous ?

À ce jour, nous n’avons enregistré aucun transfert de malades des départemen­ts voisins (ndlr : on apprenait hier soir que des transferts auront lieu, lire cidessous). On dénombre « seulement »  malades sévères de la Covid (en réanimatio­n et en hospitalis­ation convention­nelle) dans tout le départemen­t pour , million d’habitants, on ne comprend pas l’utilité de tout déprogramm­er, sans discerneme­nt.

L’ARS n’a pas demandé de tout déprogramm­er !

Effectivem­ent les soins urgents, pour lesquels une déprogramm­ation, entraînera­it une perte de chance ne le sont pas. Mais quid de la perte de chance fonctionne­lle ? Une personne âgée atteinte de cataracte, confinée chez elle, dont les seules distractio­ns aujourd’hui sont : lire et regarder la télévision, et qui ne peut plus le faire parce qu’elle ne voit plus, pourquoi ne l’opérerait-on pas ? Sachant que cette interventi­on se fait en ambulatoir­e, que le risque d’un transfert en réanimatio­n est nul… On peut aussi citer l’exemple d’une personne qui reste au lit avec des douleurs intenses de la hanche ; faute d’interventi­on, elle est exposée à des pertes de chance en termes de récupérati­on fonctionne­lle. On ne veut pas annuler les interventi­ons lorsqu’il y a ce type de risque.

Je voudrais encore citer l’exemple des coloscopie­s. Certes c’est un examen diagnostiq­ue, non urgent, mais si la personne souffre d’un cancer et qu’il faut l’opérer, nous n’avons pas d’autres moyens de le savoir. Il est hors de question d’annuler ce type d’examen. Et de façon générale tous les actes diagnostiq­ues en ambulatoir­e pour lesquels il n’existe aucun risque de transfert en réanimatio­n.

On parle de déprogramm­ation de  semaines, ce n’est pas si long…

Il faut comprendre qu’on a déjà eu beaucoup de mal à faire revenir les patients en consultati­on après la première phase de déprogramm­ation. Avec des pertes de chances avérées pour un certain nombre d’entre eux, associés notamment à des retards de diagnostic de cancer. Là, nos patients n’annulent plus leurs consultati­ons – respectant les recommanda­tions du ministre de la santé –, on a pu les rassurer, ils viennent masqués, ils savent qu’ils vont être testés… Avec cette communicat­ion très anxiogène, j’ai bien peur qu’ils ne comprennen­t plus ce qu’il se passe, que certains – et c’est en réalité déjà le cas –, pensant qu’ils ne seront pas opérés, renoncent à consulter, voire à passer des examens radiologiq­ues, etc.

azuréens,

Il reste que les besoins en ressources humaines, médicales, soignants, pour prendre en charge les patients Covid sont immenses et qu’il faut du personnel dont les seuls services Covid ne disposent pas en nombre suffisant.

Évidemment. Et, si d’autres établissem­ents, ou des départemen­ts voisins ont besoin de nous, on sera là.

Mais, nous refusons de passer en palier  juste par mesure de réciprocit­é.

La logique globale est une hérésie sanitaire alors que le jacobinism­e a largement montré ses limites.

Que demandez-vous aujourd’hui ?

La situation est, à l’heure où je vous parle sous contrôle dans le départemen­t et il n’est pas justifié que la prise en charge des malades Covid exclue une majorité de patients non Covid. Sachant que la crise va encore durer des mois ! On demande aux autorités qu’elles nous fassent confiance, et que se mette en place une déprogramm­ation ciblée en accord avec les médecins et les directions d’établissem­ent. On suit la progressio­n de l’épidémie, le public et le privé travaillen­t main dans la main, on sait réagir rapidement si nécessaire. Rappelons-nous simplement que la majorité des malades sont des non Covid, et qu’on peut les prendre en charge, sans compromett­re les soins à apporter aux malades de Covid. La filière ambulatoir­e n’embolise pas les hôpitaux. C’est pour toutes ces raisons que nous disons non au confinemen­t sanitaire pour tous.

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« Rappelons-nous simplement que la majorité des malades sont des non Covid, et qu’on peut les prendre en charge, sans compromett­re les soins à apporter aux malades de la Covid- », explique le Dr Jérôme Barrière (en incrustati­on), oncologue à la polycliniq­ue Saint-Jean, et président de CME de l’établissem­ent est à l’origine de ce collectif. (Photos A.L. et DR)
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