Nice-Matin (Cannes)

Avoir vingt ans en 2020 : « Irréel, abrupt, attristant »

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Ils ont la beauté et la fraîcheur de leurs dixhuit ans. Mais une forme de gravité, dans l’expression, que l’on n’attend pas chez des jeunes gens. Rien d’insouciant. Leurs sentiments les sauvent. Certains de leurs amis, plus isolés, seraient dans l’antichambr­e d’une dépression.

Comment la voyaient-ils, cette année 2020 qui devait être celle de l’émancipati­on ? Lorenzo, bac littéraire avec mention, regrette d’avoir été privé d’examen : « Une frustratio­n.

J’aurais quand même aimé le passer. Pour l’expérience.

Pour l’entraîneme­nt. « La Covid, » Sa petite je l’ai eue deux fois » amie Juliette, bac économique et social, pense qu’elle aurait pu avoir de meilleures notes : « En distanciel, j’ai un peu décroché… »

Le décrochage. Risque majeur pour des étudiants contraints à la plus grande autonomie, faute de cours en amphi. Juliette, dans sa filière « arts du spectacle », cursus danse, voit bien que l’effectif est en chute libre. « Cent quarante à la rentrée, et maintenant une quarantain­e seulement sur Zoom [Ndlr, applicatio­n de visioconfé­rence] .» Érosion sensible également autour de Lorenzo, en première année de droit. « J’ai du mal à travailler seule. Mais je suis motivée », dit-elle. Lui aussi, « même si ça reste compliqué ». « Cette situation paraît un peu irréelle », ajoute Lorenzo. « Juliette et moi, on a la chance de pouvoir passer une partie du confinemen­t dans une maisonnett­e de Saint-Laurent-duVar, en colocation avec des copines. Mais ça ne durera pas. » Elle acquiesce : « Nous sommes cinq, on s’organise des petites soirées entre nous. Rien de fou. » Ses dix-huit ans, Juliette les trouve « attristant­s et un peu ch… », elle qui rêvait de weekends d’intégratio­n. Lorenzo s’était projeté :

« Moi, je m’étais projeté, on m’avait conditionn­é en m’expliquant depuis toujours que c’était une sorte d’avènement. L’acquisitio­n de toutes les libertés. » Le contraste est saisissant. « Ne pas voir les amis, ne pas voyager », c’est ce qui lui manque le plus. Juliette a d’autant plus de mal à tolérer ces privations qu’elle a été directemen­t touchée : «LaCovid,jel’ai eue deux fois. En février, avant le confinemen­t, avec des difficulté­s respiratoi­res pendant un mois. » Deuxième session fin août, lors de sa fête d’anniversai­re : «Onétait

quarante-sept. Deux jours après, tout le monde a fait le test, on était une vingtaine à s’être contaminés. »

« Tout le monde a eu des symptômes très légers. Moi, ça n’a duré qu’un jour et demi. Je me sens à l’abri. Même mes parents, qui sont à risque, n’ont rien eu de spécial », explique Juliette. Lorenzo est passé entre les mailles du filet, comme il dit. « Je n’ai pas peur. Mon

entourage vivant un peu dans la psychose, j’essaie de limiter les sorties, autant que possible. » « De là à déprimer, peut-être pas. Mais on se pose beaucoup de questions », admet le jeune homme qui s’interroge sur l’avenir proche.

« On se demande si l’on n’entre pas dans un cycle où nous devrons nous reconfiner régulièrem­ent. » Tous deux jugent la réaction exagérée, disproport­ionnée. «Nos

grands-parents sont très inquiets. Ils regardent beaucoup la télévision. Nous, pas du tout. »

Le couple prend son mal en patience. Espère des jours meilleurs. « Dire que cette année serait gâchée, ce serait un peu fort » ,estime Lorenzo. Le premier confinemen­t a toutefois été pesant pour ce fils unique qui, au bout de trois semaines, n’en pouvait plus. « Je suis quelqu’un qui aime sortir et profiter. Se retrouver privé de tout ça, et d’une façon aussi abrupte, c’était dur. » Ils téléphonen­t aussi souvent que possible à celles et ceux qui, autour d’eux, perdent pied : « Beaucoup

n’ont plus envie de se lever le matin, de faire des efforts, de faire du sport. On répond à leur story, on propose une visioconfé­rence ou, à la rigueur des petits jeux en réseau. On essaie de leur montrer notre soutien, on fait de notre mieux. »

« Beaucoup n’ont plus envie »

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