Nice-Matin (Cannes)

« Qui m’achètera ma maison si je pars ? »

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« Les premiers jours je venais travailler de Tende à pied. Ça prenait une heure », se souvient Antonietta, chef d’équipe cuisine. « Aujourd’hui on a une route qui a été dégagée mais on n’a pas d’essence », ajoute Ophélie, qui vient de Breil à Saint-Dalmas par le train de 7h20 et repart le soir par celui de 18 heures. « Ça fait des longues journées ». Pour les personnes en situation de handicap, « l’accès aux soins, les rendez-vous médicaux chez les spécialist­es demeurent compliqués. Le train qui part de Saint-Dalmas-deTende vers 9 heures arrive à midi à Nice et repart à 15 heures. Ce qui laisse peu de temps pour se rendre à une consultati­on », estime Thierry Quintin, chef du service éducatif. Malgré les difficulté­s, la structure, profondéme­nt ancrée dans la vallée depuis 1989, n’a pas l’intention de déménager. Les « usagers » y ont trouvé leur équilibre. Certains, à l’image de Stéphane, cuisinier, y travaillen­t depuis 30 ans.

« Ici on ne s’ennuie jamais. En ce moment on a du travail avec ce qui s’est passé. Depuis que je suis là je n’ai jamais vu ça », confie le quadragéna­ire tout en brassant dans un énorme fait-tout une soupe de légumes verts à l’aide d’un mixeur à bras. Il se dit « triste » de voir son village dans cet état, mais heureux d’avoir participé à l’élan de solidarité des premiers jours, lorsque Le Prieuré a hébergé et nourri sinistrés, secours, bénévoles, midi et soir. Vidé ses stocks, prêté toute sa flotte de véhicules. mis sa boutique à dispositio­n pour servir de PC de crise.

Missions suspendues

Il est midi. Dans la grande salle du restaurant aux murs épais surmontés de voûtes, Steven et Guy servent les plats préparés par

Stéphane, Ophélie et Antonietta. 70 convives déjeunent ce jour-là : gendarmes, pompiers, forestiers-sapeurs en mission, sinistrés, mais aussi tous les travailleu­rs de l’Esat.

Dans les jardins et sur « l’île » du Prieuré, une parcelle de terre autrefois encerclée par la Roya et la Lévensa, où étaient célébrés des mariages l’été, Jéméry, Kevin, Nolwen, Bertrand, encadrés par Raymond et Régis déblaient, nettoient, déplacent pierres, matériaux de constructi­on, meubles, troncs d’arbres charriés par les flots.

Un travail nécessaire « mais qui ne rapporte pas d’argent », déplore Raymond. Les missions de l’atelier « espaces verts » qu’il encadre sont suspendues chez les particulie­rs, les jardins des clients s’étant changés en champs de pierres après le passage de la tempête. A la blanchisse­rie, Audrey et Xavier, « usagers » depuis plus de 10 ans, viennent de nettoyer, repasser, plier les uniformes des gendarmes et les tenues de travail de leurs collègues des cuisines. Les hôtels de La Brigue, Tende et Casterino, dont l’activité a elle aussi été impactée aussi par la tempête, n’ont plus de linge à confier au Prieuré. Mélina, 20 ans, chef d’équipe des gouvernant­es, est en colère. A Tende, où elle habite « nous n’avons toujours pas d’eau potable. On est en 2020 ! ». Mais elle restera dans la vallée. « J’ai investi. Qui m’achètera ma maison si je pars ? », conclut-elle, réaliste.

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Les établissem­ents médicosoci­aux de la vallée de la Roya (ici l’Esat Le Prieuré) sont pourvoyeur­s d’emplois directs et indirects.
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A la blanchisse­rie, les tambours tournaient aussi pour les autres établissem­ents hôteliers de la vallée, privés de clients depuis le passage de la tempête.

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