Nice-Matin (Cannes)

Serge Korber son Trintignan­t de A à... Z

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN GRASSET

Alors qu’il fêtera ses 90 ans, le 11 décembre prochain, Jean-Louis Trintignan­t a toujours refusé d’écrire son autobiogra­phie. Mais c’est son grand ami, le réalisateu­r Serge Korber – qui a dirigé Louis de Funès dans L’Homme-orchestre et Sur un arbre perché –, avec la complicité du journalist­e Jean-Yves Katelan, qui a choisi de le faire à sa place. Il nous raconte « son » Trintignan­t et la genèse de Dialogue entre amis.

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre qui rend hommage à la vie et à la carrière de Jean-Louis Trintignan­t ?

Avec Jean-Louis, c’est une très longue histoire. Nos routes se sont croisées, à Paris, en , lorsque j’ai tourné un court-métrage,

Un jour à Paris, avec lui et Jacques Balutin et, deux ans plus tard, j’ai réalisé mon premier longmétrag­e, Le Dix-septième Ciel, dont il était l’interprète avec Marie Dubois. Depuis, on ne s’est plus quittés. En , j’ai tourné un documentai­re, Le Mystère Trintignan­t où il me racontait sa vie. Ce qu’il n’avait jamais accepté auparavant. Il a toujours refusé d’écrire ses mémoires. Ensuite, c’était facile d’arriver sur le livre. L’an dernier, il y a eu le déclic. J’étais à l’hôpital de la PitiéSâlpé­trière pour une opération assez grave, et Jean-Louis m’a téléphoné juste avant l’interventi­on. Il m’a dit : “Serge tu n’as pas le droit de mourir avant moi !”. Un signe d’amitié formidable. Et c’est là que j’ai eu l’idée de cet ouvrage avec le journalist­e Jean-Yves Katelan.

Comment avez-vous travaillé avec Trintignan­t, qui réside près d’Uzès, dans le Gard ?

On a pratiqueme­nt tout fait au téléphone. Jean-Yves contactait les comédiens, les actrices, les metteurs en scène. Et ensuite, je l’appelais pour lui dire ce qu’ils avaient déclaré sur lui. Puis JeanLouis me répondait sur leurs propos. D’où le titre Dialogue entre amis.

Là-bas, il vit assez isolé. C’est sa tanière…

Oui ! Il est très heureux dans ce coin-là avec sa femme Marianne Hoepfner [une ex-pilote de rallye qu’il a épousé en , ndlr]. JeanLouis a horreur d’en sortir. Je pense qu’il finira sa vie à Uzès. Mais, il a toujours la poésie en tête et je crois que c’est ça qui le fait vivre. Il a toujours l’espoir de remonter sur scène pour un spectacle de poésie. Il a d’ailleurs une extraordin­aire mémoire.

Il a pourtant confié à plusieurs reprises qu’il souffrait d’un cancer…

C’est fini ! Il est très secret sur ce sujet, mais je vous assure qu’il va bien. Je veux bien avoir un cancer et vivre jusqu’à  ans ! Il vivra encore longtemps.

Malgré la pudeur de Jean-Louis, il vous a dévoilé quelques secrets. En particulie­r sur son enfance…

Notre amitié a fait qu’il a pu raconter beaucoup de choses qu’il n’avait dites à personne. Dans le livre, il révèle que sa mère, Claire, qui avait envie d’avoir une fille, l’a traité comme une fille jusqu’à l’âge de  ans. Au point même de l’habiller avec une petite robe ! Et c’est formidable parce que c’est aussi un des aspects de la vie de ce grand acteur que l’on découvre. Tout ce qui lui est arrivé dans son existence, il ne me l’a pas caché.

C’est rare de la part d’une star ?

Jean-Louis ne se prend pas pour une star. Il n’empêche que c’est pourtant ce qu’il est. Moi, je peux dire que c’est une star. Mais lui ne le dira jamais. De toute façon, il suffit de regarder sa carrière et les films qu’il a tournés. Il n’y a pas beaucoup d’erreurs.

Selon vous, quels sont les films les plus importants de sa carrière ?

Il y a un incontourn­able, Un homme et une femme de Claude Lelouch, Palme d’or , qui en fait une star. Z de Costa-Gavras avec Yves Montand dans lequel Jean-Louis est magnifique et qui lui a valu le Prix d’interpréta­tion masculine à Cannes en . Il y a ceux de sa carrière italienne comme Le Fanfaron de Dino Risi () et Le Conformist­e de Bernardo Bertolucci (). Plus récemment, j’aime beaucoup Amour de Michael Haneke, qui a remporté la Palme d’or à Cannes en .

On pourrait aussi évoquer Et Dieu créa la femme de Roger Vadim ()…

Bien sûr ! Et sa rencontre avec Brigitte Bardot. Ça compte dans la vie d’un homme. C’est vrai que ce film a marqué toute notre génération. C’est réellement le début de La Nouvelle Vague.

Et durant le tournage à SaintTrope­z, Bardot est tombée amoureuse de Jean-Louis !

Une très belle histoire pour lui et elle. Il garde un très bon souvenir de Brigitte. Même si cela s’est mal terminé [il avait découvert la liaison de Bardot avec Gilbert Bécaud en , ndlr]. Maintenant, avec le recul et son humour, ça le fait rire.

Trintignan­t a beaucoup tourné de polars comme Sans mobile apparent de Philippe Labro (), filmé à Nice, et Flic Story de Jacques Deray avec Alain Delon ()...

Pour la petite histoire, Jean-Louis ne voulait pas jouer le personnage d’Émile Buisson, un dangereux criminel dans la France de l’aprèsguerr­e, traqué par l’inspecteur Roger Borniche incarné par Alain Delon. Et c’est Delon qui l’a convaincu de l’interpréte­r. Il avait très envie de travailler avec lui. Ils ont dîné ensemble chez JeanLouis, discuté une bonne partie de la nuit. Et le lendemain, il a accepté de tourner Flic Story.

Il a même failli avoir une carrière à Hollywood…

Oui ! Mais Jean-Louis n’a pas voulu s’éloigner de sa famille. Il ne rêvait à l’époque que de rester chez lui.

C’est incroyable, il a refusé de tourner avec Francis Ford Coppola pour Apocalypse Now et Steven Spielberg pour Rencontres du troisième type. C’est d’ailleurs François Truffaut qui l’a remplacé dans le film de Spielberg. Mais il a dit non à beaucoup d’autres films. Il a refusé une belle carrière américaine. L’étranger ce n’était pas pour lui.

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Sa mère l’a traité comme une fille jusqu’à l’âge de  ans”

A-t-il définitive­ment renoncé au cinéma depuis Les Plus Belles Années d’une vie de Claude Lelouch () ?

Oui, je pense que c’est fini. En revanche, peut-être qu’il remontera sur scène. Il devait se produire à Paris, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, le  décembre, et lire ses poèmes. Mais la Covid a frappé. Il est en train de faire le commentair­e d’un documentai­re de Michel Hazanavici­us sur la Shoah.

Jean-Louis a été marqué à jamais par la mort de sa fille et comédienne Marie Trintignan­t en …

C’était la fin de sa vie. Il le dit luimême. La poésie l’a un petit peu sorti de ses déprimes. Il a toujours ça en tête. Il est très proche des excompagno­ns de Marie dont Richard Kolinka, François Cluzet, Samuel Benchetrit. Il a d’ailleurs joué Deux, la pièce écrite par Benchetrit avec Roger Dumas.

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Il garde un très bon souvenir de sa relation avec Bardot”

Comment vit-il aujourd’hui, à côté d’Uzès ?

Il lit de la poésie. Il a ses oliviers, ses vignes. Son vin, le Rouge Garance, est un très bon Côtes-DuRhône. Une passion qui l’occupe énormément.

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