« On n’était pas dupe, on sait que les gens oublient très vite »
« On est en colère, fatigué, déçu. Mais j’y crois encore... Un tout petit peu. »
À 53 ans, Cécile Terramorsi en a consacré trente-trois à la santé des autres. Cette année 2020 a eu raison de ses dernières illusions. Infirmière au Samu 06, travaillant au service médical d’urgence et de réanimation à Pasteur 2, Cécile Terramorsi est appelée sur les premières interventions et les transferts de patients. En pleine deuxième vague, elle dit son amertume. Et au-delà, celle de nombreux confrères.
■ Son ressenti global
« L’hôpital s’est complètement dégradé en cinq ans. On est déshumanisé. On bouche des trous, sans tenir compte des spécialisations. Cela fait vingt ans qu’on se bat avec nos petits moyens. On ne peut pas faire grève, refuser les soins ; du coup, l’Etat en profite ! Ils savent qu’on fait ce métier par vocation. Mais à force, motiver les troupes devient compliqué. Les gens ne reviennent plus sur leurs repos, débranchent leur téléphone... Reste la phase catastrophe, où tout le personnel se mobilise. Mais l’après-14-Juillet a été mal géré. »
■ Le soutien populaire évaporé
« La première fois, cela a fait prendre conscience – pour un temps restreint – de l’importance de l’hôpital et des équipes soignantes. On n’était pas dupe non plus. On connaît les gens, on sait qu’ils oublient très vite ! Il y a des gens fabuleux, qui nous ont déposé de petits plats. Mais les applaudissements, ça ne nous a pas fait plaisir longtemps. Déjà, on ne se prend pas pour des héros. Et quand, derrière, on a fait des manifestations, les gens ne sont pas descendus dans la rue... »
■ Le Ségur de la santé
« Notre cas n’est pas réglé. En 2020, on roule avec des véhicules qui tombent en panne régulièrement, on utilise des sacs vétustes, on a des canapés troués, on dort par terre... On fait avec ce qu’on a. Mais ce système D nous use ! On a eu deux fois 90 € en plus, soit +180 € par mois. Sauf que notre point d’indice est gelé depuis plus de dix ans. Quand vous faites le calcul, cette revalorisation ne fait que réajuster ce qu’on a perdu... »
■ Et maintenant ?
« Il faudrait que la population soit moins inerte, manifeste plus régulièrement. Et qu’elle dépose plainte auprès de la direction des hôpitaux pour mauvaise prise en charge. Quant à nous, il faut s’accrocher ! Notamment les vieux de la vieille. Moi, j’ai 33 ans de carrière, mais je pense que des gens comme ça, il n’y en aura plus. Si on continue comme ça, à terme, l’hôpital va devenir un hospice ! »