Faire son deuil malgré la pandémie
Le coronavirus a bouleversé les rites funéraires du fait des mesures sanitaires. Ce qui rend plus difficile le processus de deuil pourtant primordial pour ceux qui restent.
Àl’affliction liée à la perte d’un proche succède le chagrin, la tristesse... Et un jour, l’on se rend compte que ça va mieux, on sourit de nouveau. Le deuil peut prendre plus ou moins longtemps mais c’est toujours une étape indispensable. En temps de pandémie, ce processus est chamboulé, mis à mal par les mesures barrières et autres restrictions sanitaires. Christine Ganneval, psychanalyste niçoise, reçoit régulièrement des patients manifestant un profond mal-être lié à un deuil compliqué. « En cette période, les adieux au défunt sont bouleversés, les rites funéraires sont modifiés, or ils sont fondamentaux pour pouvoir faire son deuil et aller de l’avant. »
Trois grandes phases
La spécialiste distingue trois grandes phases. La première, c’est au moment du décès. « Certaines personnes n’ont pas pu voir leurs familles avant de rendre leur dernier souffle, en particulier des résidents d’ehpad ou des malades hospitalisés. C’est évidemment très difficile d’imaginer que son parent ou ami est parti seul. Les proches portent une sorte d’échec liée au fait que l’histoire s’est arrêtée brutalement sans avoir pu lui dire au revoir une dernière fois », analyse Christine Ganneval.
La deuxième étape est au moment de la préparation du défunt et de la mise en bière. « Voir le corps, cela permet de rendre concrète la mort. Or des patients racontent à quel point il leur a été difficile de ne pas y avoir accès. Certains n’ont vu qu’une housse mortuaire. Or, là encore, le fait de toucher le disparu ou simplement de parler à la dépouille aide en temps normal à réaliser le fait que la personne n’est plus. Psychiquement, le processus de deuil est bouleversé. »
Inventer des rituels
Le troisième élément qui complexifie les choses est l’isolement dans lequel les mesures sanitaires nous plongent de facto. Interdiction de sortir sans motif à plus de 10 km (à noter qu’il est possible d’aller au-delà pour assister à des obsèques, cocher la case 3 de l’attestation dérogatoire de déplacement), obligation d’être chez soi après 19 heures, autant de facteurs qui nous éloignent les uns des autres. Et lors des funérailles, le nombre de personnes dans l’assistance est limité ; voire certains rites ne sont plus possibles comme avant. Or « lorsqu’on est confronté à un décès, on a besoin du soutien de ses proches, on a besoin de se prendre dans les bras, de se réconforter. Le collectif se mobilise pour rappeler la vie pour maintenir les liens entre tous , note la psychanalyste. La pandémie avait déjà renforcé le sentiment de solitude : il s’accroît encore plus dans ces moments de deuil. »
Pour autant, il est possible d’inventer des rituels pour remettre un peu de solidarité et de soutien. « À chacun d’inventer les siens. Si tout le monde ne peut pas être présent à la cérémonie, on peut demander aux absents d’écrire une lettre ou de donner un objet qui sera posé sur le cercueil, suggère Christine Ganneval. Cela permettra en quelque chose de symboliser l’union autour du défunt. »
« Le deuil prend de mois à un an »
Et si on se sent encore triste pendant de longues semaines, rien d’anormal. « Le deuil prend du temps, en moyenne 9 mois à un an, remarque la psychanalyste. C’est lorsqu’au bout d’un certain temps que la personne ne parvient pas à rire de nouveau, qu’il y a un souci. Il ne faut pas hésiter à consulter, à se faire aider. Il est toujours possible de « réparer » – avec des guillemets – les choses après coup. Par exemple, il est possible d’écrire une lettre au défunt ou d’aller sur sa tombe pour lui dire ce que l’on a sur le coeur, pour « s’expliquer » si besoin. On peut aussi imaginer de trouver une date pour rendre hommage au disparu, organiser une messe anniversaire, etc. Cela va permettre aux endeuillés de se sentir entourés, de trouver un regain de vie. »
Laisser le chagrin s’exprimer, c’est important. Mais il faut être vigilant à ne pas sombrer dans l’anxiété, l’angoisse ou la dépression. Le cas échéant, la prise en charge ne doit pas tarder.