Nice-Matin (Cannes)

Manuel Valls : « J’ai pris la foudre, je me suis relevé »

Dans Pas une goutte de sang français, l’ancien Premier ministre évoque son retour, confesse ses erreurs et règle ses comptes avec François Hollande, Emmanuel Macron et Eric Zemmour

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

‘‘ Macron s’est joué de notre crédulité”

Si le livre de Manuel Valls avait été une chanson, elle aurait pu s’intituler Lettre à France. Comme Michel Polnareff dans les années soixante-dix, alors exilé en « Chimérique », l’ancien Premier ministre de François Hollande, désormais conseiller municipal à Barcelone, décrypte les pleins et déliés de sa relation passionnel­le avec notre pays.

Au-delà de pages assez convenues sur sa jeunesse, son goût pour la littératur­e, les humoristes et le football, l’ancien édile socialiste, ravalé au rang de « traître » par sa famille politique, se confie avec une sincérité étonnante. Il n’élude pas ses erreurs. Et semble poser des jalons pour l’avenir.

Ce livre, c'est une façon de revenir dans le débat français ?

Je voulais d’abord m’expliquer sur les raisons de mon départ en . Mais, en effet, la France me manque. D’une manière ou d’une autre, je veux participer aux débats sur l’avenir de mon pays. Je pense avoir une légitimité pour m’exprimer sur ces sujets. Je n’ai pas d’autre ambition que celle-ci. [Un silence] Et quand bien même aurais-je d’autres ambitions, est-ce interdit ? La vie m’a réservé de belles surprises ; je ne prétends pas savoir de quoi sera fait mon avenir.

Début , dites-vous, vous étiez

Cette blessure-là est guérie ?

«auborddela­rupture».

La défaite, en politique, est quelque chose de normal. Mais là, c’était autre chose : mon monde s’effondrait ! Le PS partait en miettes, la primaire n’avait servi qu’à sanctionne­r la gauche de gouverneme­nt que j’incarnais. Je sentais de la haine autour de moi ! Côté vie privée, mon couple était en train de se défaire. J’ai pris la foudre, mais je me suis relevé. Il a fallu du temps. Ce livre est une sorte de catharsis.

Vous confessez un certain nombre d'erreurs. Notamment l'utilisatio­n d'un Falcon officiel, alors que vous êtes Premier ministre, pour assister à la finale de la Ligue des champions à Berlin avec vos enfants…

J’ai fait ce choix pour des raisons pratiques, pour des raisons de sécurité aussi. Michel Platini m’avait invité ; je voulais faire plaisir à mes enfants que je voyais trop peu. La dimension symbolique de ce geste m’a totalement échappé. Une forme d’aveuglemen­t.

Avec le recul, qu'est-ce qui n'a pas fonctionné pendant

le quinquenna­t de François Hollande ?

Le problème est lié à une paresse intellectu­elle et politique qui remonte à la chute du Mur de Berlin. Depuis cette époque, le PS n’a jamais révisé son logiciel. En , nous n’avons pas gagné sur des idées neuves, mais en surfant sur la vague anti-sarkozyste. Résultat : on s’est retrouvé au pouvoir sans avoir traité les questions de fond. Ces sujets-là ont fini par nous exploser à la figure !

Vous déplorez la « faiblesse » du président Hollande…

Politiquem­ent, il n’a pas assumé ses choix économique­s. Il a toléré une fronde permanente, au sein du PS, qui nous a mis en difficulté. Il aurait dû renverser la table, exclure les frondeurs ! Enfin, en acceptant de se soumettre à une primaire à gauche, il a affaibli sa fonction.

Vous alertez, depuis longtemps, sur la montée de l'intégrisme islamique. Au gouverneme­nt, qu'auriez-vous pu faire que vous n'avez pas fait ?

La réponse est difficile. Nous étions bien préparés aux agressions venues de l’extérieur. En revanche, nous n’avons sans doute pas assez pris en compte les courants qui bousculaie­nt la société française de l’intérieur.

À un an de la présidenti­elle, vous êtes inquiet ?

Oui. Marine Le Pen peut gagner. Notre démocratie subit une crise de confiance, les partis de gauche et de droite sont fragilisés. En , le

« dégagisme » a permis l’élection d’emmanuel Macron. Mais en , s’il « dégage » àson tour, quelle alternativ­e pour les électeurs... sinon le RN ?

Vous avez des mots sévères sur la « duplicité » d’emmanuel Macron. Pourtant, vous avez tendu la main à LREM avant de quitter la France. Comment interpréte­r cela ?

Macron s’est joué de notre naïveté, de notre crédulité et de nos erreurs. Il a fait son nid sur l’effondreme­nt du PS. François Hollande ne l’a pas vu venir, malgré mes avertissem­ents. Au demeurant, j’ai appelé à voter pour lui au printemps . Pourquoi ? Parce qu’à ce moment-là, il était devenu évident que Benoît Hamon n’avait aucune chance d’être au second tour de la présidenti­elle. Et je voulais éviter un duel Mélenchon-le Pen. [Un silence] Soutenir Macron contre Hamon, je n’ai pas pris la mesure de ce que ça voulait dire. J’ai endossé la figure du traître…

En Espagne, écrivez-vous, vous songez d'abord à la France. Votre candidatur­e à la mairie de Barcelone était une erreur ?

Surtout pas ! C’était une élection quasi impossible, mais elle m’a redonné le goût de la lutte politique… et elle m’a permis de rencontrer mon épouse actuelle. À l’époque, je n’ai pas voulu renoncer pour ne pas crever. C’était une question de survie.

Vous évoquez votre "émotion", aujourd'hui encore, lorsque vous passez rue de Solférino. Croyez-vous que le Parti socialiste a un avenir ?

Je n’appartiens plus au PS. Je ne peux que lui souhaiter de réussir à se renouveler. Mais, pour des questions de fond, je pense que son avenir est marginal.

Parmi vos coups de coeur, vous mentionnez Gérard Depardieu. Malgré son exil fiscal et son flirt avec Poutine ?

Il représente la France et l’esprit français. Cela n’excuse rien, mais son talent est si prodigieux…

Vous n’appréciez pas Eric Zemmour, ce qui peut paraître logique, mais vous fustigez aussi la militante antiracist­e Assa Traoré….

Ce sont les deux bras de la tenaille identitair­e. Chacun à sa manière, avec leurs idées, ils veulent substituer la guerre des races à la guerre des classes. Ce n’est pas ce que je souhaite pour ce pays, mon pays, que j’aime par-dessus tout.

 ?? (Photo Pqr/ouest-france/daniel Fouray) ?? « D’une manière ou d’une autre, je veux participer aux débats sur l’avenir de mon pays », confie l’ancien Premier ministre de François Hollande.
(Photo Pqr/ouest-france/daniel Fouray) « D’une manière ou d’une autre, je veux participer aux débats sur l’avenir de mon pays », confie l’ancien Premier ministre de François Hollande.

Newspapers in French

Newspapers from France