Nice-Matin (Cannes)

LES  ÉLÉMENTS CLÉS DE L’ENQUÊTE

-

Comment un petit vendeur d’essence frelatée de la région de Sfax, en Tunisie, en est venu à égorger sauvagemen­t trois personnes à Nice ? Entendu pour la première fois le 6 avril dernier par le juge d’instructio­n, Brahim A. n’a livré aucune réponse. L’auteur de l’attentat de la basilique Notre-dame de l’assomption serait frappé d’amnésie. Néanmoins, plusieurs éléments de l’enquête suggèrent que cette attaque terroriste pourrait bel et bien avoir été préméditée. Peutêtre même depuis le jour où ce Tunisien de 22 ans a décidé, sur un coup de tête, de s’embarquer à bord d’un radeau de fortune pour traverser la Méditerran­ée.

Les policiers français, italiens et tunisiens ont reconstitu­é l’itinéraire qui a conduit Brahim A. jusqu’à la basilique de Nice il y a six mois.

À Nice, guidé par la sourate… An-nissa

Ce jeudi 29 octobre 2020, Brahim A. vient d’ôter la vie à deux fidèles et au sacristain de la paroisse lorsqu’il se retrouve face à trois policiers municipaux. Dans l’exigu couloir qui mène au presbytère, l’assaillant brandit son couteau ensanglant­é et se jette sur les fonctionna­ires en criant Allah Akbar ! Apposant le sceau du djihadisme sur son acte horrible.

D’ailleurs dans la poche de son jean, les policiers retrouvent un petit Coran. Glissée à l’intérieur, une carte de visite marque la page de la quatrième sourate intitulée… « An-nissa ». Si le nom de ce texte religieux n’est pas sans rappeler celui de la ville où Brahim A. a décidé de passer à l’acte, il désigne en réalité « les femmes » en arabe. Ce texte pourrait bien avoir guidé le terroriste dans sa folie meurtrière.

S’en prendre à une femme autant qu’au symbole de l’église

« An-nissa » désigne, en effet, les femmes comme un potentiel foyer de cette « mécréance » qui semble obséder le jeune Tunisien. Or les versets sur lesquels le terroriste a arrêté son marque-page indiquent qu’« Allah a mis les combattant­s au-dessus des non-combattant­s » et leur promet d’ailleurs une « rétributio­n immense ». Ce même passage met, toutefois, en garde celui qui en voulant suivre ainsi « le sentier d’allah » tuerait par mégarde un musulman, même s’il appartient à un « peuple ennemi » : « pour celuilà sa rétributio­n sera l’enfer ». Ces lignes du Coran, mises en exergue par le terroriste lui-même, interrogen­t quant à ses motivation­s exactes : cherchait-il délibéréme­nt à s’en prendre à une femme ? S’il a suivi, ce matin-là, dans la basilique Nadine Devillers, sa première victime, était-ce parce que cela lui offrait l’assurance qu’elle n’était pas de sa religion ?

Et qu’elle appartenai­t bien aux « gens du livre », ces juifs et ces chrétiens que cette même sourate désigne également comme des « mécréants » ?

Émigré clandestin au

« pays des chiens et mécréants »

Ce funeste projet était-il le but même de son voyage clandestin en Europe ? Brahim A. aurait pu faire le choix de s’établir dans la région de Palerme, en Sicile, où un cousin de sa mère lui a trouvé du travail à peine débarqué. Mais il a manifestem­ent d’autres intentions. Comme en témoigne ce message qu’il adresse à un autre immigré clandestin originaire de la même région que lui et qui a fait le voyage quelques semaines plus tôt. Il lui annonce son intention de venir le rejoindre en France… «aupays des chiens et des mécréants », précise-t-il.

Voilà qui interroge à nouveau sur les motivation­s réelles de son périple. Celui-ci devait manifestem­ent le conduire jusqu’à Paris.

Mais dans un message au même correspond­ant, Brahim A. annonce la veille de son attentat qu’il a finalement « un autre projet en tête », qu’il espère que « Dieu l’aidera à le mener à bien » et… qu’il va donc rester à Nice.

Le jour de la naissance de Mahomet

Le jeune Tunisien n’en dit pas plus, mais il sait sans doute déjà ce qu’il compte faire. Est-ce ce post qu’il a reçu quelques heures plus tôt sur sa page Facebook qui a été le déclencheu­r de son passage à l’acte à Nice ? Le message en question rappelle que le jour qui suit le 29 octobre est celui attribué à la naissance de Mahomet. Brahim A. at-il voulu rendre un hommage sanglant à son prophète ? À Nice donc, puisque c’est là qu’il se trouvait. Ce message intrigue particuliè­rement les enquêteurs depuis que le FBI leur a transmis l’intégralit­é des correspond­ances et des archives du compte Facebook du terroriste. Plus de 5 000 échanges en à peine quelques semaines. Car, c’est en débarquant en Italie que le jeune Tunisien s’est inscrit sur ce réseau social sous un pseudo encore une fois très… symbolique : « Brahim Ben Mohammed », que l’on pourrait traduire littéralem­ent fils ou descendant de Mohammed. En référence à son père, dont c’est effectivem­ent le prénom, ou au prophète ?

Maison de correction et radicalisa­tion en Tunisie

Ni son père ni les autres membres de sa famille n’ont été informés par Brahim A. de son départ pour l’europe. Le seul qui semble avoir été dans la confidence est un dénommé Haroun. Brahim A., lui, a même laissé son scooter avant de prendre le large, ainsi que sa pompe à essence clandestin­e sur la route de Gabès contre une poignée de dinars. Face aux policiers tunisiens qui l’ont interrogé à la suite de l’attentat de Nice, Haroun confesse une amitié de longue date avec le terroriste. Mais ce n’est pas la seule chose qui les unit. Tous deux fréquentai­ent la même mosquée et partageaie­nt depuis un peu plus d’un an une pratique assez stricte de l’islam. D’ailleurs certaines de leurs connaissan­ces communes ont déjà eu affaire à la division antiterror­iste de leur pays. Tout démontre que Brahim A. s’est radicalisé bien avant de grimper à bord d’une embarcatio­n de fortune pour traverser la Méditerran­ée. Pourtant il a longtemps été un piètre adepte. Il aurait même eu des problèmes de drogue et d’alcool après un passage en maison de correction. Le jeune Tunisien n’avait alors que 16 ans. La raison de son incarcérat­ion ? Une agression au couteau !

 ?? (Photo Patrice Lapoirie) ?? Les premières investigat­ions réalisées sur les lieux de l’attaque.
(Photo Patrice Lapoirie) Les premières investigat­ions réalisées sur les lieux de l’attaque.

Newspapers in French

Newspapers from France