« L’épidémie a fait resurgir les gourous »
L’ancien magistrat Georges Fenech, invité de Neuroplanète, forum du Point dédié aux pouvoirs du cerveau, était à Nice hier pour sa conférence sur les dérives thérapeutiques sectaires.
Georges Fenech, ancien juge d’instruction, membre du conseil d’orientation de la Miviludes (mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires qu’il a présidée de 2008 à 2012) et auteur de Gare aux gourous (éditions du Rocher, 2020) met en garde contre les pseudo-thérapeutes qui tentent d’exploiter les personnes vulnérables, notamment en pleine pandémie de Covid-19.
En quoi la période que nous traversons est propice aux dérives thérapeutiques sectaires ?
Vous imaginez la peur d’une société face à un virus inconnu ?
Les grandes sectes sont réapparues à cette occasion. Les Témoins de Jéhovah y voient le signe annonciateur de l’apocalypse. Raël revendique la liberté de se mettre en danger avec ses free hug (câlins gratuits) alors qu’on parle de gestes barrière. Les pseudothérapeutes profitent de cette période. Thierry Casasnovas préconise le crudivorisme pour lutter contre la Covid-. Il y a le MMS (miracle mineral solution), à base de javel et de jus de citron supposée guérir du sida, du cancer. Trump avait donné le mauvais exemple en appelant à en boire. Il y a aussi l’urinothérapie. Et tous ces réseaux complotistes qui luttent contre la vaccination. A la Miviludes, nous avons reçu beaucoup de signalements.
Comment se prémunir ?
C’est là toute la mission de la Miviludes. Nous avons créé un groupe d’appui technique qui évalue certaines de ces pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique. Kinésiologie, mésothérapie, Access bars, respirianisme, chirurgie immatérielle... La différence c’est que ces professions non réglementées font appel à des croyances qui peuvent être des points d’entrée à la manipulation mentale, alors que la médecine fait appel à la science. Il faut s’informer auprès de la Miviludes, des associations, demander l’avis de son médecin traitant. Le critère financier doit attirer notre attention car on nous vend des stages, des CD-ROM hors de prix...
Qui sont les cibles ?
Les personnes atteintes d’une maladie grave ou en rupture familiale, professionnelle, dépressive ou en crise existentielle. Les charlatans exploitent ces faiblesses. Ça peut arriver à n’importe qui, comme au plus grand génie de notre époque, le fondateur d’apple Steve Jobs. Atteint d’un cancer, il a préféré les méthodes alternatives avant de consentir à être opéré mais il était trop tard.
Comment ces méthodes alternatives, alors qu’elles ne produisent selon vous aucun résultat tangible, continuent à trouver écho ?
L’emprise est telle que le patient n’a plus de lucidité. Il y a une forme d’engrenage. On est dans la manipulation, l’endoctrinement. On vous promet une solution immédiate. Beaucoup diront qu’ils ont senti un réconfort. Et si c’est le cas tant mieux mais il ne faut pas ériger ces méthodes, non soumises à une base scientifique, au rang de pratiques conventionnelles. Le pouvoir politique a baissé la garde. Le moindre jouet mis sur le marché doit être homologué. Là on délivre des pseudo-diplômes qui n’ont pas de valeur.
Comment lutter ?
On a des textes pour qualifier l’escroquerie, l’exercice illégal de la médecine, l’homicide involontaire, la non-assistance à personne en danger. Nous avons des moyens, la cellule d’assistance et d’investigation en matière de dérive sectaire, l’office central pour la répression des violences aux personnes, composé de policiers formés. Les peines sont dissuasives. Cinq ans encourus pour l’exercice illégal de la médecine. Adeptes de l’ordre apostolique Tabitha’s Place, les parents du petit Raphaël, décédé à mois, ont été condamnés à ans pour avoir privé leur enfant de soins et d’aliments. Le problème c’est qu’il y a un chiffre noir. Beaucoup ne déposent pas plainte car ils ont honte de s’être fait avoir. Je travaille à un dispositif législatif pour que les familles, l’entourage puissent déposer plainte en lieu et place de la victime.
Le pourvoir politique a baissé la garde”