Le chirurgien antibois qui a essayé de sauver Diana
Aujourd’hui chirurgien à l’hôpital d’antibes, le docteur Monsef Dahman exerçait à Paris lors de l’accident de la princesse de Galles à l’alma. Cette nuit-là, il a tout fait pour tenter de la sauver.
“On y met toute son énergie, toute sa force. Ce que l’on paie, par la suite…”
Il est né dans le 12e arrondissement de Paris, de parents tunisiens. Interne des hôpitaux de Nice, il est revenu exercer au CHU en 1999, avant de rejoindre la Fontonne, à Antibes. Entre-temps, le docteur Monsef Dahman a été chef de clinique assistant à La Pitié-salpêtrière. Où il se trouvait dans la nuit du 31 août 1997, lors du tragique accident du pont de l’alma qui devait coûter la vie à la princesse Diana, âgée de trente-six ans.
S’il s’est rarement exprimé sur le sujet, le chirurgien a évoqué ses efforts désespérés, et ceux de toute une équipe, pour la sauver, dans une interview au Daily Mail .Àlaquelle succédera prochainement un témoignage pour la BBC, à l’occasion des vingt-cinq ans de ce drame. Aujourd’hui, c’est pour Nice-matin que le Dr Dahman revient sur les deux heures parmi les plus longues et peut-être les plus éprouvantes de sa carrière. Deux heures qui le hantent.
Pourquoi avez-vous longtemps gardé le silence. Par pudeur ? Ou ce souvenir est-il encore à ce point douloureux ?
Que ce drame m’ait marqué, c’est une certitude. On ne peut pas sortir complètement indifférent d’une intervention à l’issue de laquelle on a perdu une personne de cet âge, de cette qualité, avec une telle renommée. Mais lorsqu’on perd quelqu’un, en tant que médecin, on est toujours secoué.
Et cela se produit de temps en temps, dans le parcours d’un médecin…
Bien sûr. Malheureusement. À La Pitié-salpêtrière, où j’ai travaillé durant quatre ans, c’était régulier. Je ne sais pas si la situation a changé, mais cet hôpital était, avec Henri-mondor, l’un des deux centres où arrivaient les urgences les plus graves, même gravissimes, de Paris. On y est donc confronté à des cas allant au-delà de toute ressource thérapeutique. Quand c’est le cas, on essaie quand même. S’il y a un petit espoir, alors on redouble d’efforts.
Comment, en de telles circonstances, trouver les bons gestes ? Sur le moment, quel est votre état d’esprit ?
L’état d’esprit ? Sauver quelqu’un. Je ne sais pas comment décrire les choses plus simplement. Quand on a une femme, jeune, belle, qui présente un traumatisme thoracique aussi violent, un bilan aussi cataclysmique, tout ce que l’on peut dire, c’est qu’on fait le maximum. Quand j’étais à La Pitié-salpêtrière, la cohésion était totale, on ne se posait pas de question, le rapport de confiance était absolu. Nous recevions à l’époque trois cents polytraumatisés dans l’année, pour lesquels il fallait opérer le jour même, dans l’heure, voire tout de suite. Lorsqu’une urgence de cette nature survient, tout est mis en oeuvre dans l’instant, l’expérience de chacun participant de la qualité de la prise en charge. On y met toute son énergie, toute sa force. Ce que l’on paie, par la suite.
L’équipe, sur le moment, est énorme ?
Elle l’est toujours. Quatre anesthésistes-réanimateurs. Le sénior étant, ce soir-là, le professeur Bruno Riou, un homme absolument exceptionnel. C’est avec lui que j’échangeais. Nous avons fait les choses ensemble, avec la plus grande efficacité possible. Mais aussi les infirmiers anesthésistes, les infirmiers du bloc opératoire et tous les chirurgiens de toutes les spécialités imaginables, disponibles si nécessaire.
Qu’a-t-il manqué pour sauver Lady Diana ? Un peu de temps ? Un peu de chance ?
C’est une question qui relève du secret médical, mais qui a été discutée dans de très nombreux congrès, en particulier des congrès de chirurgie thoracique et vasculaire. Tout ce qui devait être fait a été fait. Le tout, sous pression. Recevoir les personnes qui se pressaient autour de la princesse Diana, ce n’était pas mon rôle. Aller faire des politesses n’était pas dans mes attributions. Et quand on termine l’intervention, on est franchement vidé.
La déflagration extraordinaire qui a suivi a-t-elle eu, pour vous, une résonance particulière ?
On n’en sort pas indemne. Bien sûr. Les chirurgiens ont de la couenne sur le dos, heureusement. Mais on ne peut pas perdre quelqu’un d’aussi jeune, avec une telle notoriété, et voir les cérémonies qui vont suivre sans se sentir complètement impliqué. Cette dame, j’ai eu son coeur entre les mains. Et quand on a entre les mains le coeur d’une jeune femme qui nous quitte alors qu’on a fait absolument tout ce qui était imaginable à l’époque, dans l’un des rares centres hospitaliers pouvant donner toutes ces possibilités, bien sûr que l’on s’en trouve ébranlé. Bien sûr que l’on se pose des questions. Qu’aurait-il fallu faire ou ne pas faire ? Aurait-on pu faire autrement ? On ne peut pas ne pas se remettre en cause, ne pas essayer d’avancer, d’évoluer.
Une vie, c’est fragile. Mais aurait-on pu faire mieux ?
La vie est très, très, très fragile, c’est une certitude. Aurait-on pu mieux faire ? Cela a été discuté, rediscuté, on m’a audité dans tous les sens. Au moment où je l’ai reçue, tout ce qui devait être fait l’a été. Le reste relève d’une opposition entre le système de santé anglo-saxon et le système de santé français. Je reste convaincu que le nôtre était le plus approprié. Ce qui aurait été fait en Grande-bretagne, c’est-àdire le transport aux urgences, le plus vite possible, sans prise en charge sur place, n’aurait jamais permis de lui donner une chance chirurgicale. Les lésions ne rendaient pas possible une prise en charge sans réanimation initiale. C’est un avis personnel.
Un homme – un Français –, le lendemain, a proposé de vous acheter vos sabots de chirurgien, tachés de sang…
C’est resté dans ma tête, tant cela me paraissait inconvenant. Quelque chose d’horrible et de futile, comme ces gens qui demandaient si la princesse était enceinte ou pas enceinte. Une chose qui est sûre, concernant l’équipe qui était présente cette nuit-là, c’est que nous avons été hyperprotégés. Face aux médias, face au système judiciaire. Moi en tout cas. Et j’en suis très heureux.