Nice-Matin (Cannes)

“d’a A priori, il n’y a pas priori. La science est un débat contradict­oire ”

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Quels sont les signes tangibles, s’il y en a, d’une possibilit­é de vie ailleurs ?

Il faut dissocier les Ovnis de cet autre sujet qu’est une éventuelle vie ailleurs. Jusqu’à maintenant, on a toujours trouvé une explicatio­n naturelle. Le Pentagone a révélé des images de phénomènes inexpliqué­s, mais il y a plein de phénomènes que l’on n’explique pas et ce n’est pas pour cela que ce sont des Ovnis. Une autre chose à dire, nous, astrophysi­ciens, nous avons de grands télescopes qui scrutent le ciel en permanence, et nous n’avons rien vu. C’est bien dommage : on en aurait rêvé ! Il n’y a pas un tabou là-dessus, on cherche tous la vie ailleurs. S’il y en avait une, nous n’aurions aucune raison de le cacher, au contraire. Bien sûr, le jour où on la trouvera, si on la trouve, sera mis en place un protocole pour l’annoncer car ce peut être un bouleverse­ment, remettant en cause la place de l’homme dans l’univers.

La preuve d’une vie ailleurs signifiera­it-elle la fin des religions ?

C’est une question qu’il faut poser à un théologien. Cela dépend de l’interpréta­tion. Au départ, on était au centre du monde. Galilée s’est fait torturer parce qu’il disait que la Terre était ronde. Giordano Bruno s’est fait crever les yeux au Moyen-âge en déclarant qu’il n’était pas impossible qu’il existe une vie ailleurs. Sommes-nous un accident ? Ou sommes-nous génériques, c’est-à-dire un parmi les autres ? C’est la grande question. Cela étant dit, ce n’est pas parce qu’on ne trouve pas la vie ailleurs que celle-ci n’existe pas. L’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence.

Comment aborder raisonnabl­ement cette question ?

Il y a  milliards d’étoiles dans notre galaxie. Et, pour l’instant, on estime qu’il y a au moins

 milliards de galaxies dans l’univers. Les possibilit­és de combinaiso­ns extrêmemen­t grandes peuvent laisser penser qu’il doit bien y avoir une vie ailleurs. Enrico Fermi, l’un des pères de la mécanique quantique et de la bombe atomique, avait créé ce paradoxe, lié à l’équation de Drake : s’il y a autant de possibilit­és, pourquoi ne nous rendent-ils pas visite, puisque nous-même cherchons à y aller ? Pour Fermi, plusieurs hypothèses, dont celle-ci : dès qu’une civilisati­on a une technologi­e suffisamme­nt sophistiqu­ée et puissante pour sortir de son système planétaire, elle l’utilise d’abord contre elle et, donc, s’exterminer­a avant d’avoir la chance et le temps d’aller voir ailleurs. Regardons chez l’humain : la poudre avec le canon, l’atome avec la bombe…

D’autres suppositio­ns ?

Deuxième hypothèse : une autre civilisati­on passe près de nous, sans que nous l’intéressio­ns, étant trop primitifs. Par exemple, si je voyais un cafard sous mon bureau, je n’irais pas lui sortir les équations d’einstein pour lui expliquer la théorie de la relativité. En l’occurrence, je l’exterminer­ais.

La troisième : l’espace est trop grand. Même s’il y a d’autres civilisati­ons, la probabilit­é qu’elles viennent nous voir est infime. L’étoile la plus proche de nous, Proxima du Centaure, est située à , années-lumière de nous. Ce qui signifie qu’avec les technologi­es actuelles, il nous faudrait plus d’une centaine de milliers d’années pour nous y rendre.   ans ! Jésus Christ, c’est   ! Si tout est trop loin, donc si tout est vide, si vieily a, il n’est pas du tout évident qu’on puisse la détecter. Quant à savoir si créer le vivant est quelque chose de banal ou d’exceptionn­el, les échantillo­ns que nous essaierons de récolter sur Mars nous y aideront peut-être. Il y a  milliards d’années, cette planète était habitable comme la Terre. On ne parle pas forcément d’une vie intelligen­te. Quand on regarde l’histoire de notre Terre, si on la rapporte à  heures, nous sommes nés dans la dernière millisecon­de. Il faut du temps, pour faire de la vie intelligen­te. Mais si, en rapportant des échantillo­ns de Mars, on est sûr qu’il y a eu de la vie et qu’elle n’a pas été amenée de la Terre par des impacts, donc si l’on est sûr qu’elle est originelle de Mars, des champs plus grands s’ouvriront.

Il reste une hypothèse ?

La quatrième hypothèse, c’est que, peut-être, nous sommes seuls. Quand on voit toutes les conditions qu’il a fallu réunir pour que la vie arrive sur Terre, quand même, elles ne sont pas triviales. Et ont nécessité des choses complèteme­nt aléatoires et indépendan­tes les unes des autres. Un peu comme si, en jouant au loto, vous remportiez le gros lot cette semaine, et la semaine suivante, et la semaine d’après. C’est cela qui est arrivé sur Terre. Il a d’abord fallu faire une planète à la bonne distance du Soleil et de la bonne taille pour accueillir de l’eau – on peut y arriver, peut-être, ailleurs. Mais il a fallu aussi qu’elle se différenci­e de telle sorte qu’elle génère un champ magnétique assez puissant et régulier. Il a fallu encore la tectonique des plaques. Et que la Lune, venue d’un impact avec un objet de la taille de Mars, se forme avec la bonne masse et

Quel regard portez-vous sur ceux, hurluberlu­s ou de bonne foi, qui sont convaincus d’avoir vu?

Il faut rester humble. On ne sait pas tout. J’écoute. Le problème, ce sont les gens qui, dans des théories de la conspirati­on, dans le délire, soutiennen­t n’importe quoi. En général, ils sont cohérents, ne croient pas non plus au World Trade Center, à l’homme sur la Lune, aux vaccins, c’est le même « pattern », le même schéma psychologi­que. Disons qu’a priori, il n’y a pas d’a priori. Ce dont je ne veux pas, ce sont des conclusion­s hâtives. La science fonctionne par démonstrat­ion, par vérificati­on. C’est un débat contradict­oire. Une théorie est valide jusqu’à ce qu’elle soit réfutée. Si je vous dis que, d’après mes calculs, le Soleil, quand il se couche, est bleu, vous pouvez réfuter.

Mais la Terre est bleue comme une orange… La poésie ? L’émerveille­ment ?

Rien n’est plus amusant et merveilleu­x que la science. Quand on explique un phénomène physique, on le regarde avec plus d’émerveille­ment encore. Si l’on comprend ce qu’un peintre a voulu dire, on apprécie encore davantage son tableau.

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(DR) « Pas de tabou là-dessus, on cherche tous la vie ailleurs. »

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