Lorsque les Misérables s’installaient à la Brague
En 1933, trois quartiers de Paris étaient reconstitués sur un terrain de 3 hectares entre et pour le tournage du film de Raymond Bernard. 2 000 figurants étaient de la fête.
Un matin de février 1933 c’est le branle-bas de combat entre Antibes et Biot. Un tournage cinématographique hors du commun se prépare dans un champ de trois hectares situé dans la plaine de la Brague. Le long de l’avenue Michard-pellissier, sur une portion située entre le pont de l’actuelle autoroute et la Bastide du Roy.
Pour tourner Les Misérables, d’après l’oeuvre éponyme de Victor Hugo, le réalisateur, Raymond Bernard a souhaité la reconstitution d’un quartier de Paris. Un travail titanesque réalisé par des entreprises de la région.
Recréer le Faubourg Saint-antoine
L’antibois René Giagnoni, aujourd’hui âgé de 90 ans, se souvient (lire par ailleurs). Enfant à l’époque, il se remémore les récits que son père, Paul, entrepreneur de maçonnerie qui a participé à cette aventure, faisait le soir en rentrant à la maison.
Ce vaste terrain situé à la lisière des deux communes antiboise et biotoise, avait été choisi pour permettre d’installer les décors imposants du Faubourg Saint-antoine, à Paris, où se situait une grande partie de l’histoire. Un choix du lieu également dicté par la proximité des studios niçois de la Victorine lesquels pouvaient, à tout instant, faire bénéficier l’équipe de leur assistance technique. Enfin, la lumière chaude du Sud de la France avait séduit le réalisateur qui avait trouvé là une « assistante » idéale pour magnifier à la fois les scènes qu’il avait à tourner et le jeu des acteurs qu’il dirigeait.
Sur la terre de Brejnev
Jean Perrier, l’architecte qui travaillait depuis déjà dix ans avec Raymond Bernard, a donc posé ses valises dans cet immense pré qui appartenait à un certain Monsieur Brejnev. Non pas Léonid, celui qui allait présider l’union soviétique, mais un riche russe installé là. Et dont, aujourd’hui encore, un pont de l’a8 porte le nom. Jean Perrier avait recruté cent vingt ouvriers qui étaient dirigés par ses assistants : Lucien Carré et André Landart.
Il aura fallu plusieurs mois pour construire les décors de ce film. Tout le faubourg Saint-antoine de 1 830 avait ainsi été reconstitué. Au final, dix mille mètres carrés de façades, de nombreuses rues pavées et tout le mobilier urbain de l’époque, s’étaient installés sur cette partie de la Côte.
Des trains complets de marchandises
Sur le plan logistique, cette réalisation fut aussi hallucinante. Il aura fallu sept trains complets de bois, de planches, de poutres, de madriers ; l’apport de huit tonnes de clous, des kilos et des kilos de roseaux et de plâtre pour consolider l’ensemble du plateau de tournage. Sans oublier l’installation d’une centrale électrique capable d’éclairer la totalité du faubourg ainsi recréé. Bref, l’équipe du film n’a pas lésiné sur les moyens car ces décors, une fois terminés, devaient surtout résister aux tournages des scènes d’émeutes, notamment l’affrontement sur les barricades de l’insurrection de 1 832.
Deux mille figurants enrôlés
La plupart des magasins d’antiquités de la Côte d’azur ont été dévalisés. Et comme si cela ne suffisait toujours pas, huit wagons de matériel divers et variés, notamment des fiacres, quatorze cents costumes, huit cents paires de souliers, six cents fusils à piston, dix mille charges pour les fusils, ont été acheminés depuis Paris.
Pour mener à bien le tournage de toutes les scènes prévues ici, deux mille figurants ont été enrôlés. Chaque jour, six bus faisaient la navette entre Antibes et les studios de la Victorine où certains plans étaient quand même réalisés et vingt-cinq autres circulaient entre Antibes-biot et Nice.
Une véritable fourmilière pour une production de renom même si, au fil des ans, le tournage de cette version cinématographique des Misérables s’était effacé de la mémoire collective des habitants de la région.