Kérylos, une folie raisonnable à neuf millions de francs-or
Beaulieu-sur-mer. Une avancée rocheuse à fleur de Méditerranée. Où Théodore Reinach fait bâtir entre et une villa grecque, transcription moderne d’un idéal d’après l’antique. C’est un érudit. Dix-huit prix au Concours général. Juriste, archéologue et numismate. Connaissances encyclopédiques et goût du dépassement. Qui ne recule devant rien pour donner vie à son projet. Conçue en étroite collaboration avec l’architecte Emmanuel Pontremoli, Kérylos déploie sur m des trésors de décors où se mêlent palmettes, frises et oiseaux stylisés.
Baignoires et vasques sculptées dans l’épaisseur d’un marbre richement veiné. Patères, poignées de portes et luminaires en bronze ou fer forgé. Mosaïques parfaitement ajustées.
Tandis que des peintures murales, bordant le péristyle, s’inspirent de scènes déroulées sur la panse de cratères à figures rouges. Signées par Jaulmes et Karbowsky, deux élèves du symboliste Puvis de Chavannes. Neuf millions de francs-or. L’équivalent, peut-être, de millions d’euros. Mais il en coûterait dix fois plus pour l’ériger aujourd’hui, estime Antide Viand, l’administrateur de la villa, fonctionnaire d’état, puisque le site, s’il appartient à l’institut de France, est géré par le Centre des monuments nationaux.
Prestige présidentiel
Préserver plutôt que restaurer. Principe visant à maintenir l’intégrité du parti pris originel. Ce qui suppose de lourdes dépenses mais contribue à l’authenticité de Kérylos. La rencontre au sommet des présidents Emmanuel Macron et Xi Jinping, en mars , a placé la villa sous le feu des projecteurs. Curiosité accrue, notoriété dopée, engouement décuplé, le tout vite effacé, malheureusement, par la pandémie, puis le premier confinement.
Quarante-cinq mille visiteurs s’y pressent bon an mal an. Gratuitement, pendant les Journées du Patrimoine. Antide Viand s’en félicite, émerveillé lui-même par tout ce « génie de la création » qui transpire des pierres et du béton. Du mobilier aussi, dont il ne manque rien, grâce à la décision précoce de Théodore Reinach de léguer ce patrimoine, le seul moyen de se prémunir contre la dévastation d’une dispersion. Reinach, qui résidait entre Paris et la Savoie, cherchait une villégiature sur la Côte d’azur. On peut louer son présumé inspirateur. C’est Maupassant, cabotant en baie des Fourmis, qui lui aurait donné l’adresse et le goût de cet éperon.