Nice-Matin (Cannes)

« Cela durera au moins un an »

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

Journalist­e spécialisé dans la consommati­on, Olivier Dauvers estime qu’aucune baisse des prix ne doit être attendue avant une bonne année, notamment pour les céréales en, en particulie­r, pour le blé. Il ajoute que la flambée concerne autant les contenants que le contenu : du rarement vu.

Pourquoi cette flambée ? Ce phénomène est-il inhabituel ?

Le constat est le suivant : nous avons une flambée à la fois sur les contenants et sur les contenus. Donc sur les produits comme sur les emballages. C’est toute l’originalit­é de la situation, puisqu’en général, on observe une flambée sur un sujet, pas les deux en même temps. Il est inhabituel d’avoir autant de planètes mal alignées en matière d’inflation des matières premières, qu’elles soient alimentair­es, donc agricoles, ou non alimentair­es ; je pense notamment au plastique, au carton, à l’acier, à l’aluminium ou au bois. Sans parler de l’énergie. C’est du rarement vu.

‘‘ Le nouveau prix des pâtes va durer ”

La Covid est-elle la seule responsabl­e ?

Beaucoup de produits industriel­s, à la base de toutes les chaînes économique­s qui en dépendent, ont vu leurs conditions d’élaboratio­n totalement bouleversé­es par l’épisode Covid. Pour deux raisons. D’abord, parce qu’ils viennent essentiell­ement d’asie, où la production a été purement et simplement stoppée pendant des mois. Forcément, on observe un effet domino qui est parfois lent à se réaliser car il y a des stocks. Mais à mesure que ces stocks diminuent, dans la mesure où personne ne peut les reconstitu­er en volumes suffisants, tôt ou tard, c’est la rupture. D’autre part, le transport a été très perturbé, ce qui a, là aussi, généré une forte inflation. Par conséquent, des marchandis­es n’ont pas circulé, des opérateurs ayant temporisé. C’est très simple : quand le prix du transport devient supérieur à celui de la marchandis­e, eh bien, on y réfléchit à deux fois. Autrement dit, la matière première peut être disponible, mais ne pas voyager vers les lieux où l’on en a besoin. Résultat, s’il n’y a pas de plastique venant d’asie, difficile d’emballer ce qui est transformé en France.

Le prix du transport maritime a explosé ?

Oui, le coût de transport d’un conteneur a été multiplié par dix dans certains cas extrêmes. Globalemen­t, on peut dire qu’il a quintuplé. C’est une moyenne. Quoi qu’il en soit, c’est colossal. Encore une fois, il y a des matières premières pour lesquelles le transport dépasse leur valeur, ce qui n’est pas normal.

Le cours du bois a aussi une incidence ?

Ce qui est emballé dans du carton souffre de l’inflation de la pâte à papier. Qui fait le lien entre le bois et la cagette que l’on retrouve à l’arrivée.

L’impact est immédiat sur les produits de grande consommati­on ?

Il faut différenci­er l’inflation de la matière première de celle du produit fini. Prenons l’exemple des pâtes. Quatre éléments entrent dans la fixation du prix. La matière première, l’usine et son personnel, le coût de la distributi­on, et enfin le coût marketing, ou disons commercial. Ce ne sont pas quatre parts équivalent­es, mais tout de même, une augmentati­on de  % de la matière première, ça ne peut pas faire une augmentati­on de

 % du prix public. C’est impossible. Ou cela signifie que les trois autres facteurs ont, eux aussi, subi une inflation de  %. Il faut donc relativise­r. Là où l’évolution est la plus forte, c’est dans les produits où la part de la matière première dans le coût est la plus importante. Les pâtes sont un bon exemple puisque c’est du blé dur et de l’eau, c’est tout. Il n’y a donc pas grand-chose pour amortir l’envolée du prix de la matière première. Et + %, aujourd’hui, cela se voit. Dans les marques de distribute­urs. Mais il ne faut pas présenter cela comme + % sur l’ensemble de l’alimentair­e. Loin de là.

Les produits « premier prix » sont plus touchés ?

Tous les produits où la part de la matière première est plus importante, en proportion. Cela veut dire que les premiers à avoir relevé les prix, factu-ellement, ce sont les discounteu­rs et les marques de distribute­urs.

Aucune baisse à espérer avant Noël ?

Dans le cas des pâtes, le coût du blé dur, qui est une conséquenc­e de la récolte, ne va pas baisser durablemen­t avant la prochaine campagne. Il y aura des à-coups, mais le nouveau prix des pâtes va durer jusqu’à la rentrée .

Quels sont les autres produits les plus touchés ?

C’est très variable. Le sucre est peu touché parce qu’il y a plus de pays producteur­s. Le café l’est assez, le lait encore peu dans l’immédiat. On ne peut donc pas généralise­r.

Les consommate­urs seraient-ils bien inspirés de stocker ?

Non. La hausse est déjà passée pour beaucoup, nous venons de parler des discounteu­rs et des marques de distribute­urs. Alors, oui, on pourrait stocker des Panzani. Mais pour quoi faire ? Pour les revendre sur le Bon Coin ? Quand bien même on consommera­it un kilo de pâtes par semaine, cela ne représente­rait que quarante centimes. Il faut relativise­r. En résumé, les pâtes seront chères, mais on ne risque pas d’en manquer.

La pénurie de composants est un autre problème ?

Effectivem­ent, et pour les mêmes raisons. Quand les usines, dans certaines provinces de Chine, ont été fermées pendant deux, trois mois, comme on fonctionne en flux tendu, le marché s’en ressent. Tous les produits où il y a de l’électroniq­ue sont concernés. C’est la théorie du papillon : un battement d’ailes il y a un an, et tout le monde le paie, maintenant.

Sur les jouets aussi, des tensions sont à craindre ?

Absolument. En raison de difficulté­s sur deux registres. Les niveaux de production n’ont pas été les mêmes que d’habitude. Et le coût du transport a entraîné un attentisme, puis un engorgemen­t. Mais attention à ne pas tout mélanger, de manière émotionnel­le. Le manque, ce n’est pas la pénurie. Peut-être que telle poupée, modèle blond vénitien, ne sera pas disponible. Mais le modèle blond platine le sera. On a perdu le souvenir de ce qu’un produit peut ne pas être disponible partout, tout le temps. Nous sommes tellement submergés d’offres, que l’on finit par penser qu’il suffit de demander pour avoir. Non ! Ponctuelle­ment, on va manquer. Et cela durera au moins un an, le temps que les stocks se reconstitu­ent.

‘‘ Le manque, ce n’est pas la pénurie ”

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(DR) « Il est inhabituel d’avoir autant de planètes mal alignées », affirme Olivier Dauvers.
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