Nice-Matin (Cannes)

“Quoi qu’il arrive, j’ai eu une belle vie” « C’était mon mec », par Carole Amiel

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La première fois, c’est au pied de sa rue qu’elle le croise. Carole Amiel a quatorze ans. Ses parents, décorateur­s à Épernay, se sont retirés à Saintpaul-de-vence. L’adolescent­e se rend au collège, au guidon de son cyclomoteu­r. Un échange se noue, amical, «paternel », qui se prolongera durant plusieurs années. Jusqu’à ce que l’artiste lui propose de devenir son assistante, le temps d’une tournée. « J’étais folle de joie. » Elle a vingt-et-un ans lorsque la relation prendra une tournure plus sentimenta­le et charnelle.

A-t-elle perçu le danger ? « Évidemment. Je pense que j’étais déjà amoureuse. Mais je m’interdisai­s de l’être. Déjà, parce que je savais qu’il était marié à une femme exceptionn­elle. Hors de question pour moi d’imaginer qu’il puisse me choisir. Lui-même ne cessait de m’inciter à rencontrer un jeune homme de mon âge. En tout cas, lui comme moi, nous étions vigilants. Les choses étaient claires. Mais il y avait une attirance. Forte. »

« Il me conseillai­t des lectures »

Retour en arrière. Le personnage a de quoi intimider. « Oui, sauf que la relation que nous avons entretenue avec Montand, c’est d’abord celle que je pouvais avoir avec un homme beaucoup plus âgé, doté d’une expérience extraordin­aire, et qui n’était pas beaucoup allé à l’école. Il adorait que je lui raconte ce que j’apprenais au lycée. Et me conseillai­t des lectures. Dont Soljenitsy­ne. L'archipel du goulag, dont je me suis quand même enquillé les trois tomes à seize ou dix-sept ans, parce que je voulais pouvoir tenir une conversati­on avec lui. La toute jeune femme que j’étais se sentait écrasée : comment pouvais-je l’intéresser ? Alors, s’il me suggérait de regarder Ondine, de Giraudoux, dont l’adaptation avec Adjani passait à la télé, je le faisais. » En retour, sa fraîcheur le touchait. « Montand s’est toujours mis à la portée des jeunes. Je me souviens que s’il devait donner des interviews, il passait beaucoup plus de temps avec un journalist­e débutant qu’avec ceux, plus anciens, qui le connaissai­ent déjà bien. »

Début de la relation. Connaissan­t le potentiel de séduction de Montand, un vertige ? « Non. Mais vous commencez à faire attention aux autres. Parce que vous vous rendez compte qu’il a beaucoup de charme et séduit de nombreuses femmes. Et là, on ressort les vieux dossiers en lui disant : bon, maintenant, il va falloir les ranger. Et définitive­ment, sinon ça va mal se passer ! »

À la Colombe d’or, un réflexe quasi quotidien. « Quand je rentrais de courses, je trouvais sur le paillasson de l’appartemen­t des petits mots de jeunes femmes lui proposant de les rappeler. Il y en a une qui ne voulait absolument pas comprendre, alors j’ai fini par lui téléphoner en lui disant : maintenant, ça suffit ! Il n’y a pas qu’à moi qu’il plaisait, c’est une évidence. »

Peut-être fallait-il aussi composer avec des parents inquiets, sinon réticents ? «Ma mère était sous son charme et l’inverse était vrai. Tout se passait bien. Avec mon père, un peu moins. L’âge, probableme­nt. Aussi une jalousie masculine. Montand était plus grand, plus beau, il lui prenait surtout sa fille unique. Mais je n’arrive toujours pas à comprendre qu’un père ne sache pas se réjouir du bonheur de son enfant. »

La maison de Saint-paul était l’idée de Montand. « Faire construire sur la terrasse d’été du Café de la Place, qui autrefois était un hôtel. J’y ai vécu toute ma grossesse. Valentin aussi lui est très attaché. Comme, aujourd’hui, sa petite Margot. » Rien d’hollywoodi­en, une maisonnett­e discrète, en coin, mais idéalement située. Rien à voir avec la villa de David Lean à Mouans-sartoux, qui avait reçu le couple. Le réalisateu­r de Lawrence d’arabie , à qui l’on doit aussi Le Docteur Jivago ou Le Pont de la rivière Kwaï, voulait tourner avec Montand. Empêché de le faire par ses assureurs, qui jugeaient l’américain trop âgé.

Une enfance « plus pauvre que pauvre »

Le luxe de Montand, c’était sa Ferrari. Une 275 GTB/4 revendue en 1981 « parce que je lui avais vanté les qualités de la Golf GTI - une bombe, à l’époque. » Son propriétai­re actuel a offert un moment de bonheur à Valentin en la lui faisant conduire, un jour, dans l’arrière-pays.

« Montand était un homme simple, ce que je suis aussi. Comme dirait le Papet, on cultive l’authentiqu­e », s’amuse Carole Amiel en prenant des intonation­s provençale­s. Carole se souvient aussi d’une Toyota customisée par un gars du cru, portant une plaque « Black Eagle », au volant de laquelle Montand courait le col de Vence à toute vitesse, musique country « à fond la caisse ». Un gros jouet, pour lui qui en avait tant manqué. « Il avait commencé à travailler à onze ans. Dans une usine de pâtes où il avait pu entrer en falsifiant ses papiers, étant déjà grand de taille. Il a toujours bossé », se souvient celle qui décrit une enfance « plus pauvre que pauvre », sur fond de malnutriti­on. « Quand les parents partaient travailler, les trois gosses n’avaient qu’un oeuf à se partager pour toute la journée. La soeur, étant l’aînée, devait trouver le moyen de le faire cuire pour qu’il soit possible de le répartir de la façon la plus équitable. » Rien d’étonnant à ce que cet ancien gamin privé de tout n’ait jamais goûté les vacances. « Une seule fois, j’ai réussi à l’emmener. L’île Maurice. Au bout de 48 heures, j’ai cru qu’on allait rentrer, tant il s’ennuyait. »

« Quel parcours ! » s’enthousias­me Carole. «Nerienavoi­r à manger puis, à soixante ans, se produire au Metropolit­an Opera de New York, où personne, pas même Sinatra, n’a chanté ! »

Cet ancien militant s’était rendu compte assez vite des excès et déviances du communisme. Il en est revenu. «Il l’a déclaré haut et fort, après que les chars russes sont entrés dans Budapest. »

Mais, son coeur à gauche, Montand Président ? « Il était flatté, en tant qu’ex-immigré mais très vite naturalisé -, que les Français puissent penser qu’il le devienne un jour. Extrêmemen­t flatté et heureux, mais conscient que, sans parti, c’était impossible. Même si son idée consistait à prendre les meilleurs, à gauche comme à droite, pour faire avancer le pays. »

« Au sens le plus noble et populaire du terme, les gens aimaient vraiment cet homme qui parlait vrai. Les Français savaient qu’il avait été ouvrier, n’était pas un énarque, avait tout connu », poursuit Carole Amiel. Y croyait-il ? Coluche, qui l’avait précédé, s’était déjà retiré. Coluche, venu à Saintpaul quelques jours avant son accident de moto, à qui Montand avait offert un Rinquinqui­n (à base de vin blanc et de pêche) à l’apéritif, ce qui l’avait beaucoup amusé.

Dix ans de vie commune. Et l’infarctus, le 8 novembre 1991, épilogue du tournage du film de Jean-jacques Beineix, IP5. Contre son avis, le chauffeur de Montand alerte Carole en toute fin de soirée. « J’étais en Normandie, je fonce jusqu’à l’hôpital de Senlis. Il est en réanimatio­n, mais plaisante avec les infirmière­s et me réclame un poste de télévision car on doit passer le lundi César et Rosalie. Comme Montand me voit en larmes, il me

“Il adorait que je lui raconte ce que j’apprenais au lycée”

demande : “Je suis perdu, ou quoi ?” Finalement, on me dit de ne pas rester, et je ne peux pas revenir avant 14 heures car les horaires sont stricts, en réa. Mais toutes les demi-heures, je téléphone pour prendre des nouvelles. À 11 heures, son état se dégrade, il faut le transférer à la Salpêtrièr­e. » L’ambulance n’aura pas le temps de prendre la route. Une récidive de son infarctus est fatale. Montand décède le 9 novembre à Senlis. « Un ami cardiologu­e m’appelle à 13 heures, c’est fini. »

La veille, il avait dit aux pompiers qui le secouraien­t : « Quoi qu’il arrive, j’ai eu une belle vie. » Mais soixante-dix ans, c’est bien tôt. Carole avait trente-et-un ans. « C’était mon mec. Et le père de mon fils. Nous avions plein de projets. Il ne se voyait pas mourir. Parlait souvent des dix-huit ans de Valentin : il voulait être là. » Trente ans ont passé. Quand on a vécu dix ans auprès de Montand, comment rencontrer un homme qui trouve grâce à ses yeux ? «Jenesuis pas la sainte Vierge, j’ai eu des compagnons, mais ça n’a pas marché longtemps. » Carole Amiel s’en doutait : « C’est très compliqué, quand on a commencé par l’excellence. Avec quelqu’un qui a vous a tellement apporté, tant appris - avec lui, c’était chaque jour une leçon de vie. »

 ?? (Photo Franz Chavaroche) ?? Elle a été son ultime amour. Dix années de vie commune, un fils Valentin
(sur la photo) et des souvenirs qu’elle chérit. Depuis la première rencontre, à Saint-paul-de-vence, jusqu’au tout dernier jour, Carole Amiel raconte.
(Photo Franz Chavaroche) Elle a été son ultime amour. Dix années de vie commune, un fils Valentin (sur la photo) et des souvenirs qu’elle chérit. Depuis la première rencontre, à Saint-paul-de-vence, jusqu’au tout dernier jour, Carole Amiel raconte.

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