Valentin : « Les questions que je ne lui ai pas posées »
Valentin avait trois ans à la mort d’yves Montand. Trente ans plus tard, il signe la préface d’un beau livre sur son père. Et nous raconte « son » Montand, à la fois si présent et terriblement absent.
Avec un physique pareil, on aurait pu facilement l’imaginer à l’écran. Pas question. Valentin Livi sait qu’il aurait été comparé à son père. Il a préféré s’orienter vers les jeux vidéo. Non pas seulement en « gamer » passionné, mais en chef d’entreprise éclairé. Son école accueille une cinquantaine d’étudiants à Montpellier. Mais c’est à Saint-paul-de-vence qu’enfant, il passait ses vacances. Dans la maison de famille, à l’écart des paparazzis et des rebonds judiciaires.
À Saint-paul, avez-vous des souvenirs avec votre père ?
Non. C’est toute la difficulté que j’ai avec mon père. Des images, beaucoup, mais aucun souvenir de lui. Du coup, je me demande toujours si ces images, je les ai inventées à partir de photos que j’ai pu voir, ou si j’ai vraiment vécu ce que j’ai à l’esprit. Je pense, à la réflexion, qu’il est plus difficile de supporter une absence que de supporter le deuil lui-même. J’ai perdu ma grand-mère l’année dernière (la maman de Carole Amiel, Ndlr), mais ce n’est pas la même chose, quand disparaît une personne qui faisait partie de votre vie. Mon père n’a jamais été là.
Montand, un père de fiction. Chance ou malchance ?
Dans les films, je vois Yves Montand. Pas Ivo Livi. Je n’ai pas beaucoup d’images de l’homme. Raison pour laquelle j’ai adoré un magnifique documentaire, Montand est à nous, sélectionné au Festival de Cannes et présenté à la Cinémathèque de Paris. On y voit des bribes de mon père en tant que personne, et non pas en tant qu’acteur.
Que vous reste-t-il de cette famille ?
Mon parrain, Jean-louis Livi, le fils du frère de Montand. Mon oncle était très proche du parti communiste, extrêmement actif. Mon père, qui l’avait été, jeune, s’en était éloigné. Je crois que ce dilemme entre la théorie et le concret avait créé entre eux une rupture. Ils se sont retrouvés quelque temps avant le décès de mon père. Quant à ma tante, Lydia, elle a vécu jusqu’à mes quinze ans, à peu près. Je l’ai donc bien connue. Malheureusement, quand on est petit, on ne pose pas les bonnes questions. C’est vraiment mon parrain qui me transmet la mémoire de mon père.
Quelles sont les questions que vous auriez voulu poser à votre père ?
Ce qui m’a beaucoup manqué, ce sont des repères. J’ai aussi une grande blessure : cet homme qui a vécu tellement de choses, d’un point de vue politique, qui a défendu des causes touchant des millions de personnes, qui s’est battu pour les droits des réfugiés chiliens ou contre les États policiers - il a fait L’aveu pour ça - avait une culture, une expérience de vie, fascinantes, immenses. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, quand sa famille est partie d’italie, il devait partager un oeuf à trois pour manger. Avec cette expérience de la pauvreté, puis de la richesse. C’est tellement dense, ce qu’il a vécu, que je regrette qu’il ne m’ait pas transmis. J’ai vu dernièrement le film Vincent, François, Paul et les autres. À un moment, il prend Depardieu sous son aile. C’est une sensation que j’aurais aimé éprouver.
Dans l’imaginaire collectif, avoir un enfant aussi tard que Montand, c’est mal perçu. On y voit de l’égoïsme.
Qu’en pensez-vous ?
Je sais que je n’étais pas attendu. Pas du tout. Mon père avait son âge, ma mère ne l’envisageait pas, ils n’ont jamais pris le temps de réfléchir ; en fait, ils n’avaient pas du tout prévu d’avoir un enfant. Ma mère est tombée enceinte, malgré tout, ne pensant pas que cela pouvait arriver, et mon père était très mal avec l’idée que les gens pouvaient se faire de cette situation. Ça le gênait beaucoup. Un jour, il est allé voir sa soeur Lydia, vraie mamma italienne, très humaine, et elle lui a dit :
« Écoute, tu as tout eu dans ta vie, sauf un enfant. » Voyant la relation d’amour qu’il avait avec ma mère, je crois qu’il a dit oui, et je suis apparu (rires).
Aujourd’hui, vous-même êtes papa…
Oui, depuis deux ans, d’une petite Margot ! Avoir un enfant à mon tour, cela fait réagir, cela met les choses en perspective, par rapport à ce que j’ai vécu.
C’est le sens de la préface que j’ai faite pour le livre. Un ressenti personnel que j’ai vis-à-vis de mon père, comment je ressens son absence et comment je vis ce rapport alors que je suis moimême devenu papa.
Il a quasiment été candidat à la présidentielle. Et vous, la politique vous intéresse ?
Oui, il avait même beaucoup d’intentions de vote. Je pense qu’il a fait le bon choix en n’y allant pas. Je crois que la
“Dans les films, je vois Yves Montand.
Pas Ivo Livi”
“Avoir un enfant à mon tour, cela met les choses en perspective”
politique broie les hommes, dès lors qu’ils sont habités par les causes qu’ils défendent. Je suis, moi aussi, intéressé par la politique. Depuis tout petit, j’ai vu les proches de mon père débattre à la maison. Autour de la table, dans une forte implication, mais aussi avec recul : Costa-gavras, Ivan Levaï, Bernard Kouchner, André Glucksmann… C’étaient des amis qui parlaient entre eux, en mettant à l’épreuve les arguments de l’autre. Je trouvais cela absolument fascinant.
Depuis toujours, je rêve d’être vieux, en fait, pour avoir leur maturité intellectuelle et pour pouvoir tenir ce genre de conversation. La plupart ont été fidèles. Ils ont toujours été là. Droits dans leurs bottes.
Aujourd’hui, c’est l’école qui prend tout votre temps ?
J’aimerais venir plus souvent à Saint-paul. La piscine, le jardin, pour ma petite fille, ce serait l’idéal. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, il y a l’école Interactive Art & Design, ou IADD, que j’ai créée il y a quatre ans. Je vois dans le jeu vidéo quelque chose qui arrive après le cinéma, dans une sorte d’addition, de cumul des arts les uns aux autres. C’est, pour moi, une façon de marcher un peu dans les traces de mon père en travaillant dans un domaine qui me passionne, tout en me détachant de son empreinte. L’école est petite, une cinquantaine d’étudiants seulement. C’est peu et nous tenons à ce qu’il en soit ainsi, pour prendre le maximum de temps avec chacun d’entre eux. On n’est pas une mégastructure, on ne brasse pas des millions.
Votre physique aurait pu vous mener à l’écran. Pourquoi ne pas l’avoir fait ?
Oui, mais non, ça, ce n’est pas possible ! Bien sûr que j’aurais eu beaucoup de facilités pour travailler dans le cinéma. Mais ce serait subir la comparaison perpétuellement. Je ne serais pas Valentin Livi, je serais Valentin Montand. « Fils de ». Alors qu’aujourd’hui, je me réalise par mes propres choix.