Nice-Matin (Cannes)

« Des ingérences étrangères à craindre pendant la campagne »

Gérald Bronner, président de la commission sur le complotism­e, a participé à une conférence consacrée aux thèmes de l’informatio­n et des « fake news », hier matin à Saint-raphaël.

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY PARIGI gparigi@nicematin.fr

Évaluer la qualité et la pertinence d’une informatio­n, discerner le vrai du faux, éviter les tentatives d’ingérence… Voici quelques-unes des questions dont ont débattu l’économiste Olivier Babeau, le philosophe Pierre-henri Tavoillot et le sociologue Gérald Bronner, hier matin au palais des congrès de Saint-raphaël, dans le cadre des « Rencontres de l’avenir ». À l’automne, Gérald Bronner s’est vu confier la présidence de la commission sur le complotism­e et la désinforma­tion par Emmanuel Macron.

Pour Nice-matin, le spécialist­e des croyances collective­s évoque les mécanismes qui rendent les théories du complot si attractive­s pour une partie de la population. Il exprime également ses inquiétude­s quant aux possibles ingérences extérieure­s qui pourraient menacer la campagne de la présidenti­elle en France.

Quels aspects de la désinforma­tion avez-vous souhaité mettre en avant ?

Très tôt, je me suis intéressé aux perturbati­ons de la vie démocratiq­ue par les flux numériques. On a longtemps cru qu’internet allait permettre à tous d’accéder à la connaissan­ce et à la prise de parole. C’est vrai, d’une certaine façon. Mais ce n’est pas exactement ce qu’il s’est produit. L’objet de mon interventi­on a été d’expliquer pourquoi toutes les promesses d’internet n’ont pas été tout à fait tenues et surtout ce qu’il risque de se passer dans les prochaines années.

Qui se fait le plus facilement avoir par les ?

fake news Statistiqu­ement, ce sont avant tout les personnes les plus âgées. Elles partagent de quatre à huit fois plus de fausses informatio­ns que les plus jeunes. Cela est dû à leur culture numérique qui est plus faible. Ces personnes distinguen­t moins facilement les sources d’informatio­n sérieuses de celles qui relèvent tout simplement de blagues, comme [le site parodique] Le Gorafi ,par exemple. Elles n’intègrent pas toujours l’ironie des messages. Cela dépend aussi de la crédulité de chacun. Les théories conspirati­onnistes sont plus partagées par les gens qui ont un niveau d’études modeste. Enfin, les conviction­s politiques jouent un rôle. Les personnes d’extrême droite, et dans une moindre mesure celles d’extrême gauche, sont plus exposées.

Quel est le mécanisme qui permet à une fausse informatio­n de convaincre ?

Nos conviction­s nous donnent envie de croire à quelque chose. Les fausses informatio­ns, comme celles qui relèvent de l’anti-vaccinatio­n, jouent beaucoup sur ce que j’appelle la démagogie cognitive.

Elles font des propositio­ns intellectu­elles qui vont dans le sens de nos attentes intuitives. Quand Donald Trump dit : «Ilfait très froid en ce moment aux Étatsunis, donc je ne crois pas au réchauffem­ent climatique », il s’agit d’un raisonneme­nt bidon mais qui peut parler à une partie de la population. Dans ces cas de figure, le vraisembla­ble l’emporte sur le vrai.

Et pour les théories du complot ? Le sentiment de dépossessi­on joue un rôle important. La mondialisa­tion a donné à beaucoup, à juste titre sans doute, l’impression qu’ils maîtrisaie­nt moins leur environnem­ent.

Ils ont l’impression que les décisions politiques sont opaques. En outre, notre univers technologi­que nous échappe. On peut faire de plus en plus de choses, mais la part de ce que l’on comprend est de plus en plus faible. Les thèses conspirati­onnistes donnent l’impression de comprendre le monde qui nous entoure.

Elles donnent le sentiment de mieux maîtriser le monde, puisqu’elles fournissen­t des réponses simples à des questions complexes. Et en général, les réponses simples consistent à accuser un groupe constitué d’être mal intentionn­é et de produire des méfaits, comme la pandémie ou je ne sais quel attentat. Les groupes constitués qui sont le plus souvent accusés sont toujours un peu les mêmes : les élites, les francs-maçons, les juifs…

Notre esprit critique s’est-il affaibli ?

Je ne pense pas. Notre cerveau n’a pas changé. Ce qui a changé, ce sont les conditions de notre environnem­ent informatio­nnel. Elles favorisent la baisse de la vigilance. Au cours des deux dernières années, nous avons produit 90 % des informatio­ns disponible­s sur la Terre. Le phénomène est absolument gigantesqu­e. On pourrait croire que plus la somme d’informatio­ns est grande, plus on devient sage. Mais ce n’est pas ce qu’il se produit. Paradoxale­ment, plus il y a d’informatio­ns disponible­s, plus on s’abandonne au biais de confirmati­on et plus il y a de chances qu’on aille rechercher une informatio­n qui va dans le sens de nos croyances initiales.

En politique, la est devenue, pour certains, un instrument voire une stratégie…

fake news

Cela n’est pas nouveau. Le mensonge, la propagande et la manipulati­on ont toujours été des armes en politique.

Ce qui est tout à fait nouveau, c’est qu’auparavant, on croyait quand même que les démocratie­s seraient relativeme­nt épargnées. Or, on voit des candidats qui mentent éhontément et qui ne se démontent pas quand on les contredit.

C’est comme cela qu’on se retrouve avec un Éric Zemmour qui, malgré le fait que tous les historiens le contredise­nt, se contente de répondre

« Ben voyons, ben voyons… »

Dans quelle mesure faut-il s’inquiéter de l’essor des thèses conspirati­onnistes ?

La grande menace qui pèse dans nos démocratie­s aujourd’hui, c’est qu’on vit dans la même société mais plus tout à fait dans le même monde. Nous sommes entourés d’« alter-citoyens » qui vivent dans une autre réalité.

Ils ont fait une sécession mentale. Il y a des gens qui croient que la terre est plate ou que la Covid-19 n’existe pas.

Il y a beau avoir plusieurs millions de morts dans le monde, pour eux, c’est une invention et les soignants qui témoignent sont des vendus ou des acteurs.

Peut-on dire que le 11 septembre 2001 a été le moment de basculemen­t ?

Cela a montré le premier surgisseme­nt des théories complotist­es dans le monde numérique. Il a fallu 26 jours pour que surgisse la première théorie du complot. Depuis, ilyaeuune accélérati­on. Après l’attentat contre

Charlie

Hebdo ,iln’a fallu qu’une heure pour voir apparaître les premières thèses complotist­es. Pour moi, le basculemen­t a été l’émergence du web 2.0 et des réseaux sociaux.

Doit-on craindre que des ingérences étrangères viennent perturber l’élection présidenti­elle en France ?

Oui, bien sûr. En 2017, il y avait déjà eu des tentatives d’ingérence. La Russie tente régulièrem­ent de semer le tourment dans les élections démocratiq­ues. Son but est de nous diviser. Ce ne sont pas toujours les Russes qui envoient de fausses informatio­ns, mais il leur arrive de souffler sur les braises, avec des bots

[des logiciels opérant de manière autonome et automatiqu­e, Ndlr] malveillan­ts, qui vont amplifier un certain nombre d’informatio­ns en les « likant » en masse pour la rendre crédible. Généraleme­nt, ils font remonter des informatio­ns venant de l’extrême droite.

Tout est très documenté et traçable numériquem­ent.

Comment un pays peut-il se prémunir contre cela ?

En marchant main dans la main avec les réseaux sociaux.

Les grands opérateurs du Net doivent accepter de communique­r toutes les informatio­ns quand ils détectent des traces d’activité suspectes qui sont de nature à menacer la sincérité d’un scrutin.

Quelles sont la mission et la méthodolog­ie de la commission que vous présidez ?

Elle travaille sur les perturbati­ons de la vie démocratiq­ue par le numérique. Nous consultons des chercheurs et nous auditionno­ns tout un ensemble d’acteurs des réseaux sociaux, des grands médias et des donneurs d’alerte. Et nous allons faire des recommanda­tions, probableme­nt au début du mois de janvier.

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Les personnes âgées partagent de quatre à huit fois plus de fausses informatio­ns que les plus jeunes ”

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Les thèses conspirati­onnistes donnent l’impression de comprendre le monde ”

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(Photo DR) Gérald Bronner préside la commission sur le complotism­e et les fake news.

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