Nice-Matin (Cannes)

L’ÉDITO Le grand retour des frontières

- de DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

Trente années d’histoire semblent aujourd’hui se refermer. L’effondreme­nt de l’empire soviétique avait ouvert en 1989 les vannes de la mondialisa­tion. Elle donnait le feu vert à la libre circulatio­n des biens et des personnes avec pour corollaire un effacement progressif des frontières. Trois phénomènes poussent, à présent, à clôturer ce chapitre. Le terrorisme islamique, l’augmentati­on des flux migratoire­s et la pandémie conduisent tous les pays occidentau­x à se recroquevi­ller derrière leurs frontières. Elles sont soudain parées de toutes les vertus par des gouvernant­s pris de court par ces trois questions majeures. Conscients de l’inquiétude qu’elles soulèvent, ils s’emploient à verrouille­r leur territoire comme on le fait d’une porte d’entrée. Ils prennent ainsi le contrepied de ce qu’ils prêchaient

jusqu’alors au nom du libéralism­e. La mondialisa­tion ne pouvait qu’être heureuse pour tous. De fait, elle l’a été pour beaucoup. Selon la Banque mondiale, la pauvreté dans le monde a reculé de 35 % depuis 1990. 1,1 milliard de personnes sont sorties du dénuement absolu au cours des 30 dernières années.

Ajoutons à cet acquis majeur le boom de l’innovation née d’une compétitiv­ité accrue, la réduction des coûts de production qui éclaire la longue décrue de l’inflation ou encore la circulatio­n de l’épargne

mondiale.

Au fil des décennies sont cependant apparus les aspects négatifs du bilan : la délocalisa­tion des emplois, la financiari­sation de l’économie, une interdépen­dance nouvelle des pays avec une perte d’autonomie, un effritemen­t des identités culturelle­s. Bref, si la mondialisa­tion a fait beaucoup de gagnants, elle a aussi fabriqué

de nombreux perdants, notamment dans les pays riches au sein des classes sociales les plus exposées, tentées dès lors par un repli nationalis­te. Nous en voyons les conséquenc­es politiques avec une montée des extrêmes dans toutes les démocratie­s. Les gouvernant­s occidentau­x n’ont pas pris assez vite la mesure des fractures qui

s’étaient ouvertes. Elles sont désormais béantes et chacun tente, à sa manière, de rassurer des sociétés déstabilis­ées.

Dans ce paysage, les frontières sont devenues la meilleure arme défensive.

Elles apparaisse­nt comme le moyen le plus évident de faire face aux menaces extérieure­s. On les redresse en hâte au nom de la lutte contre la Covid, le terrorisme et l’immigratio­n clandestin­e. La campagne présidenti­elle illustre ce changement de cap aussi bien à droite qu’à gauche. Les frontières sont présentées comme le rempart des identités nationales. On les célèbre avec le même entrain que l’on mettait à célébrer hier la mondialisa­tion. Mais pas plus qu’on a pris le temps de réfléchir aux conséquenc­es négatives de la globalisat­ion, on ne songe à s’interroger sur celles de ce repliement des nations sur elles-mêmes.

« Le terrorisme islamique, l’augmentati­on des flux migratoire­s et la pandémie conduisent tous les pays occidentau­x à se recroquevi­ller derrière leurs frontières »

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