L’un d’eux témoigne : « Nous avons fait l’objet d’un piratage »
Appelons-le « Dr X ». Ce médecin niçois ne tient pas à être cité dans cette affaire. Il est pourtant une victime avérée. Un fervent partisan de la vaccination, de surcroît. Mais il sait que, par ces temps troublés, le virus de la suspicion se diffuse plus vite que le variant Omicron.
Le Dr X, donc, est l’un des praticiens dont la carte professionnelle a été usurpée afin de produire de faux pass sanitaires. Une victime d’un trafic qui a permis « des dizaines, voire des centaines d’utilisations » frauduleuses, selon Xavier Bonhomme, le procureur de la République de Nice. Pire : son nom apparaîtrait sur le faux pass d’aïcha, cette quinquagénaire non vaccinée, décédée début décembre à Garches (Hauts-de-seine).
De quoi consterner le Dr X. Durant des mois, il s’est investi dans la campagne de vaccination au palais des expositions de Nice. Sans se douter que certains allaient abuser de sa fonction. Il a découvert le pot aux roses en septembre dernier.
Réfractaires « vaccinés » à vitesse grand V
Le praticien niçois reçoit alors une dizaine d’appels d’employeurs, établis dans d’autres régions que la Côte d’azur. Ces patrons s’étonnent de voir certains salariés, pourtant antivax, présenter un schéma vaccinal complet « avec deux injections, faites à Nice à quatre semaines d’intervalle ». La ficelle est un peu grosse.
Problème : le nom du Dr X figure sur ces pass bidon. Flairant un loup, les employeurs lui demandent de consulter ses fichiers.
Confirmation : ces salariés n’ont jamais mis le pied, ni une épaule, au centre de vaccination de Nice. Ils n’ont jamais eu à faire au Dr X. « Nous l’avons signalé aux autorités. J’ai déposé plainte début octobre », témoigne l’intéressé.
Comment ce tour de « passpass » est-il possible ? Par l’exploitation d’une lacune du système informatique qui permet de générer les QR codes tant convoités. « Quand vous êtes au centre de vaccination, vous recevez une demande d’activation de votre carte professionnelle, explique le Dr X. Vous ne validez pas au cas par cas ; vous ouvrez une session de 2 heures. Ça laisse le temps de générer des attestations. Le problème, c’est qu’on ne pouvait pas identifier celui qui activait le système… »
« La partie émergée de l’iceberg »
Une « date critique » est vite apparue : celle du 30 juillet. Ce jour-là, « j’étais au centre de vaccination de 8 h à 19 h 30. C’était l’époque où l’on vaccinait 5 000 à 6 000 personnes par jour. Là, effectivement, ma carte a servi. » Dans le tourbillon de la campagne vaccinale, le Dr X aurait ainsi ouvert les portes numériques, à son insu, à des individus peu scrupuleux. Lui, mais aussi d’autres médecins. Sa plainte vient s’ajouter à celle d’un confrère niçois. Certains praticiens ont reçu la fameuse notification… un jour où ils ne vaccinaient pas. Dans son cas, l’usurpation de carte professionnelle était indétectable. « On ne peut pas le deviner quand ces pass sanitaires sont utilisés pour aller au restaurant. Sans la vigilance dans ces cas particuliers, comment l’aurait-on su ? » Le ministère de l’intérieur estime que 110 000 faux pass seraient en circulation. Mais pour le Dr X, « le nombre de cas mis en évidence n’est que la partie émergée de l’iceberg… »
« Les gens sont pris dans une spirale »
Depuis, un garde-fou numérique est venu sécuriser le système. Outre la notification, le praticien doit recevoir un SMS identifié avant d’ouvrir une session. Sage précaution : ces derniers jours encore, des notifications lui sont parvenues, sans que leur auteur ait montré patte blanche. Signe que les fraudeurs rôdent toujours.
Des médecins ont-ils délivré de faux pass en toute connaissance de cause ? « La réponse est oui. Mais c’est ultra-minoritaire ! », insiste le Dr X. Dans son dossier, « tous les médecins mis en cause ont fait l’objet d’un piratage ». Lui-même est soulagé que son « statut de victime soit maintenant acté ».
Soulagé, mais inquiet. Car ce trafic suscite « une très grande inquiétude sur le plan sanitaire. C’est la folie ! Après, les gens sont pris dans une spirale et n’osent pas avouer qu’ils ont des faux pass sanitaires… y compris quand ils arrivent à l’hôpital. » Pragmatique, le Dr X plaide pour l’amnistie des détenteurs de faux pass qui feraient leur mea culpa. Mais il requiert des sanctions exemplaires contre ceux qui jouent avec la vie des autres.