Nice-Matin (Cannes)

« En politique, le dégagisme n’est pas une solution »

Dans « On a les politiques qu’on mérite », Chloé Morin nous renvoie à nos contradict­ions : nous voulons des représenta­nts irréprocha­bles, alors que nous leur rendons la vie impossible.

- PROPOS RECUEILLIS PAR LIONEL PAOLI lpaoli@nicematin.fr

Un pavé dans la mare. Alors que la vox populi se déchaîne contre les élus « égoïstes », « arrivistes », « traîtres » ou « incompéten­ts », Chloé Morin retourne le miroir et interroge : comment en sommes-nous arrivés là ? N’avons-nous pas, tout simplement, les représenta­nts que nous méritons ? « Quand l’air politique devient irrespirab­le, ne peuvent subsister que les héros et les dingos, observe la politologu­e. Le temps est peut-être venu de balayer devant notre porte. »

La situation dépeinte dans votre livre est assez inquiétant­e…

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Depuis quelques années, on est tombé dans une spirale de défiance systématiq­ue vis-à-vis des politiques. Cela dégénère parfois en haine et en violence. On oublie que ces gens-là sont, avec leurs défauts et qualités, le reflet de ce que nous sommes. Contrairem­ent à ce qu’affirment les complotist­es, je ne crois pas qu’il y ait eu une confiscati­on du pouvoir jusqu’au sommet de l’état. Si nos représenta­nts ne sont pas aussi bons que nous le voudrions, c’est peut-être parce qu’en tant que citoyens, nous ne faisons pas notre part du travail.

C’est-à-dire ?

Par exemple, s'attacher davantage aux programmes plutôt qu'aux personnali­tés. La peopolisat­ion de la vie politique est un véritable problème dont nous sommes tous, collective­ment, responsabl­es.

Vous évoquez les des derniers quinquenna­ts qui ont érodé la confiance. Ce n’est

« scandales » pourtant pas un phénomène nouveau : depuis les diamants de Giscard (2), aucun Président n’y a échappé...

Oui, mais nous ne sommes plus dans la période des Trente glorieuses (3). Aujourd'hui, notre société est fracturée et insécurisé­e. Chacun a peur de perdre son emploi, peur de l'immigré, peur d’être agressé. Et n’oubliez pas qu’autrefois, il n'y avait pas les réseaux sociaux. On ne savait pas à tout moment ce que faisaient nos élus.

Les politiques méritent-ils des électeurs aussi désabusés ? Je ne le crois pas. Ils méritent davantage de bienveilla­nce.

Par exemple, quand un élu change d'avis, ce qui arrive à tout le monde, on y voit un manque de sincérité ou de constance. On ressort des tweets vieux de dix ans. Alors qu'on peut changer d'avis en toute bonne foi ! Mais on ne leur accorde jamais le bénéfice du doute.

Vous pointez le fait que les Français méconnaiss­ent le rôle des politiques. C'est un problème d'éducation civique ?

En partie. On apprend ce que sont les institutio­ns, mais personne ne sait comment les élus travaillen­t. Les citoyens pensent qu’ils sont payés à ne rien faire. C'est difficile de faire changer quelque chose dont nous sommes tous responsabl­es ; cet état d’esprit est délétère pour la démocratie.

D’où la tendance à vouloir « sortir les sortants » ?

En politique, le dégagisme n’est pas une solution. Chacun est dépositair­e d'une partie de la vitalité démocratiq­ue.

Quel regard portez-vous sur cette campagne présidenti­elle ?

J'ai rencontré les principaux candidats. Je viens de la gauche (4), mais j'essaie de porter

Selon vous, de quoi Éric Zemmour est-il le symptôme ?

Il est le produit du rejet de la politique. Zemmour se présente comme un candidat « hors

: c’est une impasse, et cela ne fait qu’alimenter le dégagisme ambiant.

Vous évoquez la difficulté à être une femme politique. Pourtant, les principaux partis présentent des candidates…

Ça ira mieux lorsque tout le monde, élus et électeurs, s’interroger­a sur les raisons qui font que c'est plus difficile pour une femme. Les clichés se logent parfois où on ne les attend pas. Valérie Pécresse m’a confié, par exemple, combien la gestion de la voix était compliquée : si on a un timbre trop aigu, on dégage moins d’autorité, on est moins crédible. Alors qu’il n’y a, objectivem­ent, aucun rapport ! Les choses évolueront vraiment lorsque les préjugés de ce type n’auront plus cours.

1. On a les politiques qu’on mérite de Chloé Morin, éditions Fayard, 324 pages, 19 euros.

2. En 1979, Valéry Giscard d’estaing a été mis en cause pour avoir accepté des diamants offerts par l’empereur Bokassa de Centrafriq­ue.

3. Période de forte croissance économique et d’augmentati­on du niveau de vie entre 1945 et 1975.

4. Chloé Morin a été conseillèr­e en charge de l’opinion publique au sein du cabinet du Premier ministre, Jean-marc Ayrault puis Manuel Valls, de 2012 à 2016.

 ?? (Photo Francesca Mantovani) ?? « La peopolisat­ion de la vie politique est un phénomène dont nous sommes tous, collective­ment, responsabl­es », estime la politologu­e Chloé Morin. un regard neutre : il faut une force hallucinan­te pour affronter ce qu'ils endurent. C'est un combat d'une grande violence. système »
(Photo Francesca Mantovani) « La peopolisat­ion de la vie politique est un phénomène dont nous sommes tous, collective­ment, responsabl­es », estime la politologu­e Chloé Morin. un regard neutre : il faut une force hallucinan­te pour affronter ce qu'ils endurent. C'est un combat d'une grande violence. système »

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