Nice-Matin (Cannes)

Barberis : « Ici, tu ne fais pas le con »

Le 7 mai 1982, le Suisse offrait à Monaco son quatrième titre de champion de France. Invité par le club en amont du derby, fin avril au Louis-ii, l’ex-meneur de jeu a ouvert la boîte à souvenirs.

- Textes : Christophe­r ROUX Photos : ASM et DR

C’était il y a pratiqueme­nt quarante ans jour pour jour. Le 7 mai 1982, sur un centre de Bruno Bellone, Umberto Barberis se jette et trompe Dominique Dropsy d’une tête plongeante. Accrochée pendant une heure par Strasbourg, qui était sur le point de lui faire perdre le titre au profit du grand Saint-etienne de Platini, L’ASM est délivrée par le Suisse. Les Verts devaient l’emporter par quatre buts d’écart face à Metz, ils atomisent les Lorrains (9-2) sur fond de suspicions, mais c’est bien le club princier qui est sacré. Barberis entre dans sa légende.

Umberto, que devenezvou­s ?

J’ai terminé ma longue et tumultueus­e carrière d’entraîneur en 2013. Depuis, je suis rentré à Sion où je m’occupe de mes petits-enfants.

A 69 ans, certains entraînent toujours…

Oui, les très grands coachs comme Ancelotti. Ce sont des exceptions. A part eux, les autres doivent passer la main. Il faut savoir laisser sa place. Sauf si on est extraordin­aire, ce qui n’était pas mon cas. Il y a de nouvelles génération­s d’entraîneur­s et les jeunes veulent parler à des jeunes. A ceux qui comprennen­t leur langage.

Que retenez-vous de la saison 1982 et du titre de champion ?

On avait une dynamique d’équipe quand Saintetien­ne avait une dynamique qui s’appelait Platini. Il y avait de très bons joueurs autour de lui, mais il était tellement au-dessus.

Que se passe-t-il à la pause de ce dernier match contre Strasbourg ? L’ASSE déroule contre Metz (3-1) et vous souffrez contre une équipe qui n’a plus rien à jouer. Le titre semble vous échapper.

On s’est dit que Metz n’allait pas revenir (rire) .Etque Strasbourg allait continuer à nous foutre dans la mer... (sic). On ne sait pas pourquoi, mais ils continuaie­nt à se battre.

Ils avaient peut-être reçu un coup de téléphone d’encouragem­ents. On se dit aussi que ça va rentrer, que c’est bête de perdre un titre là-dessus.

Que ressentez-vous lorsque vous marquez de la tête ?

Pas grand-chose. Au départ, c’est un corner joué à la rémoise par Amoros et Bellone, qui met un petit ballon au premier poteau. Moi, j’allais toujours au premier poteau, c’était mon truc. J’étais assez bon de la tête et j’ai toujours aimé marquer avec. Tout de suite après, j’ai pensé qu’il ne fallait pas en prendre un. Strasbourg s’en foutait mais n’allait pas s’effondrer. Ce qui rendait cette équipe dangereuse. Je me souviens aussi que leur gardien (Dropsy, NDLR) m’avait dit que ça allait venir et qu’on gagnerait. J’avais échangé mon maillot avec lui d’ailleurs après le match, pas avec ses copains.

Je lui ai dit : «Toituas été honnête ».

Croyez-vous que Saintetien­ne - Metz était arrangé ? Des doutes ont été émis…

On connaissai­t la puissance de Saint-etienne à l’époque. J’étais fan. Le maillot avec Manufrance, la fabrique de flingues... En Suisse, il n’y avait pas un endroit où les gens ne voulaient pas porter ce maillot. Il faisait rêver les enfants en Europe comme celui du Milan AC. Un match arrangé ne l’est jamais vraiment. On peut très bien dire à un joueur : ‘‘L’année prochaine, tu viens chez moi et je te donne trois ans de contrat’’. On peut affaiblir l’adversaire. Et, en fin de compte, on ne tient pas l’engagement. Rocher était le président de la caisse noire (une affaire de paiements illicites de ses joueurs qui éclate en 1981, NDLR) .Onse dit qu’il avait des munitions, mais je porte des accusation­s si je suis sûr de quelque chose. Ce qui m’intéresse, c’est qu’on a gagné. Si on avait perdu, ça aurait été évoqué mais ça n’aurait pas été plus loin.

Parlez-nous de votre arrivée sur le Rocher…

C’était comme débarquer sur une autre planète. Il y a beaucoup de fantasmes sur la ville. Après, tu te rends compte qu’il y a un boulanger, un boucher… C’est comme partout. La différence, c’est qu’il y a une exigence ici. Tu sens quelque chose. Tu ne fais pas ce que tu veux. Tu t’astreins à certaines règles. Quelques fois, on vous les énonce mais on ne les suit pas. Ici, on vous les énonce et elles doivent être respectées. Monaco, c’est sérieux. Il y a quelqu’un qui tient cette Principaut­é. Ici, tu ne fais pas le con.

Il y a tout pour le faire, mais tu ne le fais pas.

Pourquoi avez-vous quitté la Suisse pour Monaco ?

Lucien Leduc (entraîneur de L’ASM de 1977 à 1979) était venu me voir quelques fois en Suisse. On se connaissai­t. Et puis j’avais regardé l’équipe, lu ce que j’avais à lire sur elle. Quand je suis arrivé, ce n’est pas comme s’il n’y avait rien. Elle existait et elle était en devenir. Gérard Banide (le coach en place) était un formateur et il allait se passer quelque chose. C’est tout ça qui m’a convaincu de venir.

Quelle relation aviez-vous avec Gérard Banide ?

Elle était très bonne parce qu’il était innovant, très exigeant. Il avait une passion dévorante pour le foot.

Il a raté une grande carrière parce que son truc c’était la formation. Il aurait pu aller dans les grands clubs mais il voulait que les jeunes deviennent des gens bien. Il s’appuyait sur les étrangers pour mettre en valeur cette grande formation, ces gamins. On a dit : ‘‘On y va’’. On n’avait pas le choix.

C’était un pari qu’il avait pris avec les Amoros, Bijotat ou Couriol. Il fallait oser. Il a sorti quelques tauliers pour faire de la place à cette génération qui arrivait. Avec lui, tous ces joueurs ont dépassé les frontières de Monaco.

Et avec le président, Jean-louis Campora ?

J’aimais beaucoup ce type parce qu’il avait une grande intelligen­ce. J’ai toujours aimé les présidents qui défendaien­t leur jardin. Il venait de Monaco et connaissai­t les arcanes.

C’est ça qui me plaisait. Il savait comment ça se passait. Il y avait d’autres emblèmes comme Jeannot Petit.

Vous faisiez la paire avec le Suédois Ralf Edström…

Lui, c’était un bon joueur. On était connectés parce qu’on était potes. C’était un pince-sans-rire. Je me rappelle qu’il se mettait du tabac dans les gencives comme les hockeyeurs. Il avait l’art de faire des passes entre les jambes des adversaire­s. Avec lui, les déviations de la tête étaient une science. Il n’avait rien à prouver parce qu’il avait été champion en Hollande et en

‘‘ En 1982, on avait une dynamique d’équipe. St-etienne une dynamique qui s’appelait Platini ”

‘‘ On protège les joueurs comme si le foot était un bien de luxe. Il ne l’est pas ”

Suède.

Vous vous voyiez sans arrêt ?

Oui, on faisait le Larvotto, le centre-ville, le marché et les cafés. On allait chercher Amoros ou Bellone pour les amener à l’entraîneme­nt. On était les seuls avec des bagnoles et elles étaient jolies. Ils se foutaient derrière avec leurs beaux survêtemen­ts et ils étaient fiers. On s’amusait bien mais le foot était déjà pro. On avait pas mal de déplacemen­ts, les équipes nationales. J’avais aussi ma vie de famille. Il fallait suivre.

Vous avez été joueur puis entraîneur. Quel regard portez-vous sur le foot moderne ?

Le talent est toujours là et il est même grandissim­e. La technique, le physique, tout a évolué. Avant, on avait un entraîneur qui faisait tout. Maintenant, il y en a cinq et ils sont tous spécialisé­s. Le bon joueur reçoit plus que nous à l’époque. On était encore bruts à la fin de notre carrière. Aujourd’hui, on protège les joueurs comme si le foot était un bien

de luxe. Il ne l’est pas. Il appartient au peuple.

Ils entrent dans les stades en bus et au troisième sous-sol. Ils ne disent plus rien parce qu’ils pensent que cela va être interprété. Et puis tous ces termes qu’on invente pour parler de foot me saoulent. On a trop intellectu­alisé le foot pour lui donner des lettres de noblesse. Il n’en a pas besoin. Sa noblesse est ailleurs, dans la qualité technique et physique des joueurs.

Oui. Même si, comme eux, j’ai toujours pris mon pognon. Mais on allait boire un verre à la buvette du coin après les matchs. Les spectateur­s nous attendaien­t. Des gens étaient durs, on a vécu l’époque des hooligans. Ça vociférait, ça gueulait, mais on n’a jamais été massacrés.

Vous aimeriez plus de naturel et de simplicité…

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 ?? ?? Le Suisse, surnommé « Bertine » (cerclé de noir ci-dessus), avait inscrit quatre des cinq derniers buts de L’ASM sur la route du titre. Il a bouclé la saison 19811982 avec onze réalisatio­ns en D1.
Le Suisse, surnommé « Bertine » (cerclé de noir ci-dessus), avait inscrit quatre des cinq derniers buts de L’ASM sur la route du titre. Il a bouclé la saison 19811982 avec onze réalisatio­ns en D1.
 ?? Sur le Rocher, Barberis considère que l’exigence est à son paroxysme. ??
Sur le Rocher, Barberis considère que l’exigence est à son paroxysme.

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