Nice-Matin (Cannes)

Le condamné s’est échappé

Relégué en Division 2 au terme d’une saison cauchemard­esque, le Gym va s’offrir une belle évasion en remportant la dernière finale disputée au Parc des Princes, face à Guingamp.

- Texte : Philippe CAMPS Photos : Piergé (encore merci à lui...)

Jusque-là tout va mal. Les Niçois ont la tête en vrac et les deux pieds en D2. Descendez, on vous demande. Leur parcours en championna­t est une catastroph­e. Le pire de l’histoire du club en première division. Les Rouge et Noir n’ont gagné que 5 matchs sur 38, comptent 23 petits points et ont encaissé 68 buts. Des chiffres qui donnent la migraine. Un cachet, vite. Le Gym a consommé trois coachs (Emon, Sanchez, Takac) et consumé son public. La moyenne de spectateur­s au Ray fait de la peine : 5056. Une désolation de plus. Dans ce ciel d’orage, la Coupe de France est un trait de lumière. Une bulle de vie. Valencony et ses frères de larmes ont sorti Valence, Bastia, Gueugnon, Clermont et Laval. Pas d’exploit retentissa­nt, mais un joli chemin.

Le fusil sans la fleur

Le matin du 10 mai 1997, la France du foot se pince le nez. Elle se fout éperdument de la 80e finale de la Coupe, la dernière jouée au Parc des Princes. Nice-guingamp, ça l’affiche mal. Les Bretons pointent à la 12e place du championna­t. Les Niçois sont à la cave. La lumière du jour J va leur faire le plus grand bien.

En attendant, ils sont à Clairefont­aine. Kiné du Gym et des Bleus, Bébert Gal a les clés du château. La mise en place se fera sur le terrain Michel Platini. Moins romantique que le génie français, Silvester Takac a monté un plan en béton armé. L’entraîneur a décidé d’aligner deux latéraux, trois défenseurs centraux et deux milieux récupérate­urs. Le fusil, oui, la fleur, non. Les Aiglons ne viennent pas au Parc pour faire l’attraction.

Le président au Sacré-coeur

L’heure approche. Le président Boïs, qui préfère s’en remettre à Dieu plutôt qu’aux siens, s’en va faire un petit tour au Sacré-coeur avec son dieu vivant Pancho Gonzalez. Une prière, un cierge, une hostie : ça ne mange pas de pain. Surtout quand il est béni. André Boïs a bien l’intention de profiter de ce dernier soir à la tête du club. Après, il devra partir. Depuis cinq mois, le Gym appartient à Milan Mandaric qui possède la majorité des parts mais pas encore le fauteuil de président. Et un soir de finale, le pouvoir ne se partage pas. Avant de serrer la main du président de la République, André Boïs, alias Dédé la malice a décidé de tancer Lionel Jospin. Normal : celui qui est en passe d’être nommé Premier ministre de Jacques Chirac - cohabitati­on oblige - a annoncé à la radio qu’il soutiendra­it Guingamp. Une faute. Le président niçois lui sort un carton. Direct : « Je lui ai dit : ‘’Monsieur Jospin, vous avez fait une erreur. Guingamp est une ville de 16.000 habitants. A Nice, on est 400.000. Où les socialiste­s sont-ils les plus nombreux ?’’ Il m’a répondu : ‘‘C’est pas faux...’’ » nous raconte le premier défenseur de L’OGCN.

Le Parc des Princes est plein et il est rouge et noir. Logique : les finalistes portent haut les mêmes couleurs. Dans leur virage, à droite en entrant, les 7000 supporters niçois montés à Paris font un boucan d’enfer. On peut les comprendre, ils ont passé une saison entière bouche cousue. Muets, dépités, KO debout. Ils se cachaient, camouflant leur amour du Gym et leurs illusions. C’est aussi leur revanche. Celle des désenchant­és qui ont retrouvé de la voix et de la fierté.

Chirac connaît Valencony

A l’heure du décorum et des présentati­ons, Jacques Chirac, qui connaît le foot comme Thierry Roland la danse classique, fait un carton. Heureuseme­nt, capitaine Gioria est là pour lui dire qui est qui. Arrivé devant Bruno Valencony, le président souffle : « Ah, lui,

je connais ! ». Ouf. L’honneur est sauf. Chirac ne s’est pas trompé. Il aime les héros. Sur la photo, il manque Mattio. Plus qu’une déchirure, un déchiremen­t. ‘‘Jean-phi’’, fidèle au Gym depuis ses 5 ans, est blessé. Maudite cuisse gauche. Il va rater le match de sa vie. Le défenseur privé de bonheur est en tribune aux côtés des épouses des joueurs. Il pleure. Vingt-cinq ans après, son coeur n’a pas cicatrisé. C’est la déchirure musculaire la plus longue de l’histoire de la médecine. En avant. Le début de match appartient aux Guingampai­s. Ils jouent les patrons. Mais à la 21e minute, ils vont prendre un bon coup sur le chapeau rond. Corner de De Neef. Fugen prend de l’altitude. Son coup de tête est prolongé par la nuque de

Salimi. But !

La suite, c’est l’égalisatio­n de Laspalles (78e), la prolongati­on interminab­le et les tirs au but. Silvester Takac, qui n’a jamais oublié la finale perdue aux pénos avec Sochaux face à Metz, en 1988, a préparé ce moment, sa série et ses tireurs. Il a même refusé de sortir Onorati cuit, bouilli sur la fin parce qu’il est son premier homme. L’italien ne le trahit pas, il marque. De Neef et Tatarian font de même. Gomis s’avance. A force de viser la lune, il tire dans les nuages. Mais ‘‘Loule’’ peut compter sur une bonne étoile nommée Bruno Valencony. Le sauveteur stoppe les tentatives de Carnot et Michel. Ouf.

Vermeulen s’est réveillé

« J’avais le public niçois dans mon dos. Il me poussait, me protégeait, me transcenda­it. Sur les cinq penaltys, je suis parti quatre fois du bon côté. Je savais qu’on allait gagner », se rappelle l’angegardie­n. Lui avait donc confiance en Vermeulen. Il était bien le seul. Désigné 6e tireur, Fred Gioria avait pres

que anticipé le raté de son coéquipier. « Je ne pensais jamais que Vermeulen réussirait le sien. Il jouait rarement. Il ne semblait pas vraiment concerné. C’était le seul qui était un peu en dehors de l’effectif. Alors, quand je l’ai vu se diriger avec son allure bizarre vers le point de penalty, je me suis dit : ‘‘il va le rater.’’ Et là, il marque ! », avouera le capitaine niçois. Arjan Vermeulen n’a pas tremblé. La balle de match est au fond. Après avoir traversé dix mois comme une ombre, le Hollandais vient d’allumer la lumière.

Fred Gioria ne prend pas le temps de savourer l’instant, pressé de montrer la Coupe à son peuple. Il n’entend pas les mots du président Chirac. Trop de vacarme, tant de frissons. Lui, l’enfant du pays, le Nissart, lui qui n’a connu qu’un club, qu’une passion, qu’un amour, lui qui porte le brassard comme on porte un drapeau sur un champ de bataille rejoint Jean Belver et Antoine Cuissard les capitaines de 1952 et 1954 dans l’histoire du Gym : « C’est une émotion d’une intensité folle qu’on ne ressent jamais dans la vie de tous les jours ».

Nice remporte sa 3e Coupe de France après 1952 et 1954. Les derniers sont les premiers. Le relégué est heureux et il est Européen. Le Gym a retrouvé sa fierté, son honneur, sa gloire passée. On rit, on pleure. Ça va durer des heures. Des jours. Le lendemain, la ville entière saluera ses héros fêtés de l’aéroport jusqu’au Ray. Le ciel est gris sourire. Il pleut sur Nice. Il fait un temps pourri. Qu’importe puisque le Gym a retrouvé une place au soleil. La Coupe, c’est l’ivresse pour l’éternité.

 ?? ?? Les Princes du Parc.
Les Princes du Parc.
 ?? ?? Le but niçois, oeuvre collective.
Le but niçois, oeuvre collective.
 ?? ?? Valencony, roi des pénos.
Valencony, roi des pénos.
 ?? ??
 ?? ?? La Coupe pour Fred Gioria.
La Coupe pour Fred Gioria.
 ?? ?? Merci Vermeulen.
Merci Vermeulen.

Newspapers in French

Newspapers from France