Nice-Matin (Cannes)

Villefranc­he : « Les jeunes ne peuvent pas se loger »

- LAURE BRUYAS

« Bientôt il y aura plus d’agences immobilièr­es que de vrais Villefranc­hois ! ». Il rit, Roger. Calé sur une vieille chaise usée du garage Villefranc­he auto, un p’tit noir entre deux pressions des pneus. Il rit, mais pas vraiment. «Je m’appelle Gasiglia, un nom d’ici ». Il détache chaque syllabe : « Ga-si-glia, un nom en voie de disparitio­n… »

Il soupire, désigne en face la rue d’un geste las : «Regardez, tous les volets sont fermés, tous les immeubles sont vides. Moi, j’ai 74 ans et j’ai acheté il y a 35 ans, ça va… Mais les petits, les jeunes, ils ne peuvent plus se loger, ils s’en vont… » Villefranc­he-sur-mer. 5 000 habitants, 18 agences immobilièr­es. Une des villes les plus chères de France. Ici, le mètre carré se négocie 10 000 euros, voire plus s’il y a vue mer, renseigne l’agence Riveira King du groupe Akorimmo, qui consacre tout un étage à la location saisonnièr­e. Inatteigna­ble pour les locaux. Villefranc­he-sur-mer, est une des communes des Alpes-maritimes qui perd le plus de population : « La plupart des familles villefranc­hoises ont vendu. On a plus de résidences secondaire­s (51 %, Ndlr) que principale­s. On a en plus 10 % de logements en Air BNB ou vacants. Entre 1990 et 2020, on est passé de 8 000 à 5 000 habitants », déplore le maire Christophe Trojani.

« Difficilem­ent acceptable »

Il a lancé des programmes de logements sociaux : 48 appartemen­ts vont sortir de terre dans les prochains mois. Pas assez pour endiguer l’hémorragie, reconnaît le Premier magistrat, qui fait face à la pénurie de foncier : « Un couple qui gagne deux salaires moyens aura de très grosses difficulté­s à s’installer ici, et ça, c’est difficilem­ent acceptable pour un maire ». On est encore un peu hors saison. Pas grand monde dans les rues de la vieille ville, entre la citadelle en rénovation et la plage des Marinières. Mais on entend parler toutes les langues. « Toutes, sauf le français », s’amuse Angèle Lupino, appuyée sur sa canne. 57 ans dont 39 de mairie. « Mes parents ont acheté en 1972, je suis propriétai­re. Heureuseme­nt… Aujourd’hui, je ne pourrais pas », dit-elle en boitillant. Ses deux fils n’habitent pas ici : « Trop cher, ils nous prennent pour des Américains ! « Tous mes amis d’enfance sont partis. Ils ont dû bouger, c’était impossible », conforte Matthieu Fugaro, 31 ans et jeune patron du garage de Villefranc­he.

« On est les derniers »

Il hausse les épaules, tend une touillette à Roger. Il sourit : « Pour moi, c’était hyper important de rester. J’ai trouvé un deux-pièces à 1 000 euros par mois, j’ai de la chance ». Son père, Marco, est conseiller municipal, son oncle, Michel, employé de mairie, Génération­s de Villefranc­hois : «Ily a eu l’épidémie d’anglais, les Italiens, les Russes… On est les derniers ». Roger a terminé son café, tend des bonbons à la menthe et soupire : « L’âme s’en va...»

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(Photo Dylan Meiffret) Les Villefranc­hois « historique­s » (ci-dessus Marco et Matthieu Fugaro) se comptent sur les doigts de la main.

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