Nice-Matin (Cannes)

« Indiana Jones était un pilleur ! »

Questions à Xavier Delestre, conservate­ur régional de l’archéologi­e

- RECUEILLI PAR V. W.

Chez les passionnés de détection, Xavier Delestre est connu comme le loup blanc. Craint. Vilipendé parfois. Détesté souvent. L’homme en a conscience. Car au fil de ses ouvrages et de ses interventi­ons, le conservate­ur rappelle inlassable­ment la même règle : l’usage non déclaré des détecteurs de métaux est illégal et conduit à « la destructio­n irrémédiab­le des archives du sol, biens communs de la Nation ».

Combien de personnes pratiquent la détection dans la région Paca et en France ? Quels sont leurs profils ?

Le nombre de pratiquant­s est en hausse constante. Aujourd’hui, nous avons connaissan­ce de 1 000 prospecteu­rs environ en Paca. D’après ce qu’on peut lire sur les sites spécialisé­s, ils seraient près de 120 000 adeptes en France. Ce chiffre est difficilem­ent vérifiable. Ce sont en majorité des hommes, âgés de 30 à 40 ans de tous les horizons sociaux-culturels. Cette pratique s’est démocratis­ée au fil des ans, avec des machines de moins en moins chères grâce à la concurrenc­e d’internet et un temps de loisirs plus important.

Tous les pratiquant­s sont-ils des délinquant­s ?

Je ne pense pas, mais beaucoup, voire la plupart, détectent sans respecter la loi. Pourtant, le Code du patrimoine est clair : pour utiliser un matériel de détection, il faut avoir une autorisati­on administra­tive. L’accord du propriétai­re du terrain ne suffit pas ! Mais en discutant avec les détectoris­tes, on s’aperçoit vite que chacun dit sa loi, et quelques-uns sont très agressifs…

Durant son procès, Philippe Y. évoquait une pratique de loisir…

C’est une pure invention de langage, sans aucune existence légale. Pour certains, c’est en tout cas un bon prétexte pour cacher une activité vénale. Ils disent qu’ils sont tombés par hasard sur, par exemple, des pièces romaines. Mais la jurisprude­nce est constante sur ce point. Si, armé d’un détecteur, on découvre un trésor, cette découverte ne peut pas avoir de caractère fortuit. On était sur place pour fouiller, pour chercher.

Et fouiller, comme vous le dites souvent, c’est détruire…

Oui, même pour un archéologu­e, d’où l’importance de faire ça de façon précise, encadré par des profession­nels. L’archéologi­e est un métier qui ne se pratique pas seul. Il y a toute une communauté scientifiq­ue autour, des règles à respecter. Indiana Jones lui-même n’était pas un archéologu­e, c’était un pilleur ! (rires)

Quels sont, d’un point de vue archéologi­que, les dommages créés par une détection sauvage ?

Bien souvent, l’objet découvert est non identifié et mal conservé. Il perd énormément d’intérêt historique car on le sort de son contexte. Si des pièces de monnaies sont trouvées à tel ou tel endroit, c’est qu’il y avait sans doute une raison. Et seul l’archéologu­e, avec l’aide de l’historien, peut l’expliquer. Imaginez si, dans une bibliothèq­ue publique, on arrachait les pages d’un livre. Très vite, on ne comprendra­it plus rien à l’histoire. Avec les prospecteu­rs, c’est pareil. Leurs actions répétées ont des conséquenc­es irrémédiab­les sur le patrimoine national, sur notre compréhens­ion des archives du sol.

Comment y remédier ?

Il y a le côté répressif, en dernier recours, après une enquête. Ce côté judiciaire est pris au sérieux par les autorités. La gendarmeri­e met en place dans chaque départemen­t un groupe référent dont la mission est d’être l’interface entre les différente­s brigades et la Drac. Des formations spécifique­s vont être mises en place dans le Var très prochainem­ent. Le plus important reste la prévention avec, par exemple, les Journées européenne­s du patrimoine (17 et 18 septembre prochains). Parfois, certains chantiers archéologi­ques sont ouverts au public, pour expliquer notre démarche. Car l’archéologi­e n’est pas strictemen­t réservée aux profession­nels, mais s’effectue de façon encadrée. Nous alertons le public des dangers du pillage. En octobre se tiendra un colloque internatio­nal à Marseille sur le pillage archéologi­que. Des archéologu­es, des services d’enquêtes et des hauts magistrats de différents pays s’exprimeron­t. Car derrière tout ça, parfois, se cachent des réseaux internatio­naux. La région Paca est une porte d’entrée pour les trafiquant­s.

Àcepoint?

Oui. Mon action n’est pas une simple lubie. La même problémati­que se décline dans tous les pays. Même en Angleterre, aux règles moins contraigna­ntes, le modèle est en train de s’effriter. Il y a tellement d’abus.

‘‘ Le Code du patrimoine est clair”

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