Sur le sentier de la guerre
Cette confession intime va sans doute glacer une partie de nos lecteurs. Je suis né à un jet de pierre du stade Vélodrome. De cette enfance marseillaise, je garde le souvenir de voisins tout à fait charmants qui se métamorphosaient en soldats belliqueux en fin de semaine. Ils allaient au match comme d’autres vont à la guerre, vociférant des chants haineux, conspuant dans la bière les supporters de l’équipe adverse. L’aspect festif de ce rituel m’échappait. Bien au contraire, les visages peinturlurés en bleu et blanc de ces Sioux phocéens m’effrayaient – c’est sans doute pour cela que je n’ai jamais pu voir le foot en peinture. Plus tard, lorsque j’ai découvert le film de Jean-pierre Mocky, A mort l’arbitre, j’ai d’abord cru visionner un documentaire. Ce qui m’agaçait le plus, les lendemains de défaite, c’était la mauvaise foi inébranlable de mes petits camarades dans la cour de l’école. Si L’OM avait perdu, ce n’était jamais la faute des joueurs.
L’arbitre était forcément aveugle ou vendu ; le mistral avait détourné la frappe cadrée de notre ailier droit ; l’éclat du soleil avait tapé dans l’oeil de notre ailier gauche. Ce parfum d’enfance a de nouveau chatouillé mes narines, des années plus tard, lorsque j’ai côtoyé les politiques en campagne.
Sitôt qu’une élection pointe le bout de son urne, ces gens éduqués, cultivés et intelligents cèdent aux pires délires paranoïaques.
Si le sort leur est contraire, ce n’est évidemment pas leur faute mais celle des journalistes qui sont – au
« Sitôt qu’une élection pointe le bout de son urne, ces gens éduqués, cultivés et intelligents cèdent aux pires délires paranoïaques. »
choix – soumis à leurs ennemis, incompétents ou manipulés.
Cette fois encore, à l’heure où approchent les législatives, nos portables crépitent. Les mails de reproches colonisent nos écrans. Ceux de gauche nous accusent de rouler pour la droite ; ceux de droite dénoncent notre complaisance pour la gauche. Jamais en panne de démagogie. Osera-t-on écrire que nous avons, sous notre soleil méditerranéen, quelques champions du monde de la discipline ? Qu’ils sachent que nous ne sommes pas dupes de leurs colères de théâtre. Et que nous continuerons à exercer notre métier sans rien abdiquer de notre indépendance. Convaincus que si les commentaires sont libres, les faits sont sacrés – et n’ont pas de couleur partisane.