Ici, on travaille à changer le regard sur la vieillesse
À la maison de retraite de la Croix-rouge russe, certifiée « humanitude » depuis 2016, place les résidents au coeur de ses pratiques et de ses réflexions. Un modèle inspirant.
Deux notes de piano s’échappent du fond de la salle ; une aide-soignante sourit, les doigts suspendus au-dessus du clavier. Sur la table, ses collègues rangent les restes de leur déjeuner… À quelques mètres, une famille discute avec un résident, d’autres pensionnaires regardent, assis, le passage du petit chien de la directrice Fanny Bihoreau. Un léger brouhaha anime ce hall aux couleurs vives alors que dehors, la pluie tombe doucement. Au milieu de la salle, un baby-foot trône fièrement, installé ici pour que les jeunes, quand ils viennent voir leurs grands-parents, puissent se sentir un peu comme à la maison.
Un lieu de vie
« Le grand hall d’entrée de la maison de retraite de la Croix-rouge russe est un lieu de vie », sourit Fanny Bihoreau, qui entamera, en juin prochain, sa quatrième année à la tête de l’établissement niçois.
La jeune femme, juriste de formation, distribue les bons mots, s’inquiète du bien-être d’une résidente, plaisante avec une autre. « Ici, continue-t-elle, les familles se croisent, socialisent, deviennent amies, parfois, quand leurs aînés sympathisent. »
« En maison de retraite, les personnes entament une seconde vie », renchérit Nathalie Mbarki, responsable de l’hébergement et de la vie sociale. L’établissement a obtenu en 2016 le label « humanitude », renouvelé en 2021. « Gage de bientraitance », ce label vient récompenser la philosophie du lieu : « Réhabiliter les personnes âgées dans ce qu’elles ont d’humain », écrivent ses fondateurs.
Aide-soignant et référent « humanitude », Dhossé Edjinawo accompagne ses collègues dans l’amélioration des soins apportés aux résidents. Il reconnaît souvent s’interroger : « Comment les mettre au centre ? Comment leur rendre leur dignité ? »
Des soignants en pyjama
« Une réflexion qui accompagne l’ensemble de l’équipe », affirme Fanny Bihoreau.
Pour se mêler aux retraités, les soignants sont habillés en civil la journée, et la nuit, ils déambulent en pyjama, pour ne pas déboussoler un résident qui se perdrait dans les couloirs et tomberait sur eux. L’ehpad finance d’ailleurs l’achat des vêtements à ses salariés.
Les chambres sont personnalisées par des tableaux, des bouquets de fleurs, des peluches, et des boîtes aux lettres ont été accrochées aux portes. Tout le personnel se réunit régulièrement pour discuter posture, prise en charge, appels d’offres aussi. Très dynamique, l’équipe participe régulièrement à des appels à projet. « Avec l’argent obtenu, je peux embaucher plus de personnel, par exemple… ce qui est très précieux », souligne Fanny Bihoreau.
Dans la peau des seniors
Et le soin ? « Ici, on travaille sur des techniques non médicamenteuses, poursuit Fanny Bihoreau. On n’utilise pas de neuroleptiques, par exemple. » L’équipe soignante a été formée, entre autres, selon les préceptes de la méthode Montessori. « On est partis en stage, raconte Dhossé Edjinawo. L’idée était de nous mettre dans la peau des seniors. » Lunettes simulant la vue d’une personne souffrant de cataracte, poids accrochés au corps pour comprendre la difficulté des patients à se déplacer… Depuis, par exemple, la signalétique a été revue.
« Coffee time » pour les familles
Nicole est assise à côté de sa mère, Christiane, 97 ans, très chic dans sa robe beige, foulard noué autour du cou. « Il y a deux ans, je suis tombée, double fracture du fémur, raconte la dame. J’ai eu très peur. » Elle décide alors de ne pas retourner à son domicile. « C’est un choix personnel, ce n’est pas ma famille qui m’a dit : “On va te mettre en maison de retraite.” »
Grâce au conseil de vie sociale dont elle est aujourd’hui présidente, sa fille Nicole a pu, elle aussi, trouver sa place dans la structure. Elle est invitée à échanger avec les autres familles et une psychologue – une réunion où seuls les parents de pensionnaires sont conviés et peuvent discuter entre eux.
Pénurie de soignants
« Bien sûr, il y a aussi des problèmes, n’occulte pas Fanny Bihoreau .Ily a un réel besoin de revaloriser la profession… Certaines personnes qui travaillent en maison de retraite n’osent même pas dire ce qu’elles font. »
Malgré un nombre exceptionnel de soignants pour ses 87 résidents, elle avoue avoir trois CDI à pourvoir, et avoir manqué d’une infirmière pendant 4 mois. « Quand j’appelle les filières de formation d’aidessoignants pour leur dire : “Moi, je recrute”, ils me répondent qu’ils n’ont pas assez d’étudiants. » Engager des personnes par défaut n’est pas une solution pour la dirigeante, qui plaide pour une revalorisation du métier. Ici, lorsqu’un candidat se présente, il est reçu par l’équipe avec un résident. « Pour voir comment il va se comporter avec la personne âgée. »
« Si on mène bien notre barque, les maisons de retraite sont rentables. » L’ehpad de la Croix-rouge russe, à but non lucratif, réinjecte ainsi dans son fonctionnement les bénéfices qu’il obtient. « Avec cela, j’adoucis le quotidien des résidents en améliorant, par exemple, le petit-déjeuner avec plus de fruits frais, des gaufres… »
Un marché de producteurs locaux se tiendra bientôt dans la maison de retraite le mercredi, des spectacles seront organisés le vendredi et le samedi. Le 26 mars dernier, les habitants du quartier, invités à s’exprimer sur cette initiative, ont été 250 à remplir un questionnaire pour donner leur avis. « L’idée, c’est d’ancrer la maison de retraite dans la vie de quartier. »