Nice-Matin (Cannes)

PRENANTE PLONGÉE DANS LA ROUMANIE

- MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr

Palme d’or en 2007, le Roumain Cristian Mungiu connaît ses classiques. Son nouveau film R.M.N. surprend autant qu’il emballe. Coincée dans un village de Transylvan­ie, une région où les communauté­s hongroises, roumaines, gitanes et allemandes cohabitent tant bien que mal, Mungiu, par des actions bénignes et quotidienn­es comme la fabrique du pain, introduit sa problémati­que centrale : l’intolérabl­e cruauté d’un pays qui ne sait plus comment fonctionne le vivre ensemble. R.M.N. en dit beaucoup sur les problémati­ques sociales, affectives et surtout raciales d’un pays niché au carrefour de l’europe. Ici, l’arrivée de trois travailleu­rs Sri Lankais dans un village va soulever une vague de haine. En fil rouge, la vie de Matthias, ce roumain d’origine tzigane, parti travailler en Allemagne pour gagner sa vie et qui se retrouve complèteme­nt perdu à son retour imprévu. Son fils est devenu mutique, sa vie amoureuse est un fiasco et son père est en bout de course. À travers les yeux de Matthias, on déambule dans un village ravagé par la peur de l’autre, aux relents, parfois, du Mississipp­i d’alan Parker. C’est simple, l’étranger est forcément porteur de tous les maux du monde et pique le travail des locaux qui, de leur côté, ne veulent pas s’employer pour un salaire si modique et préfère fuir à l’étranger où ils se retrouvent, de facto, dans la position des Sri Lankais qu’ils chassent. Le serpent capitalist­e se mord la queue. Brillant film.

Une Palme d’or en 2007, un prix du scénario en 2012, un prix de la mise en scène en 2016, le Roumain Cristian Mungiu ne se déplace jamais pour rien quand il vient à Cannes. Son dernier film, R.M.N., est en compétitio­n officielle. Une oeuvre toujours aussi juste qui raconte quelque chose du monde actuel par le prisme d’un village de Transylvan­ie.

Entre Cannes et vous, c’est une belle histoire d’amour...

J’ai présenté mon premier film il y a 20 ans, à la Quinzaine. Et après ça, j’ai présenté tous mes films ici dont un pour lequel j’ai eu la Palme. C’est toujours un petit miracle car c’est le meilleur endroit pour présenter mon style de cinéma, réaliste, qui essaie de parler aux gens de l’état du monde.

Ce village sert de prétexte pour parler de l’état du monde, de la peur de l’autre. Ça parle de tout ce qui se passe autour de nous, on doit réfléchir à ça. Pourquoi des gens fuient leur pays ? J’espère que les gens vont comprendre que je ne parle pas que d’un petit village roumain mais plutôt d’une situation mondiale. Que ce soit le Brexit, le vote de l’extrême droite en France, les gouverneme­nts populistes en Europe, c’est une situation qui est omniprésen­te. La nature humaine n’est pas rationnell­e, logique, bienveilla­nte. Il y a un animal caché en chacun de nous mais dans des proportion­s différente­s.

Il reste pourtant de l’espoir comme le personnage de Csilla...

Il faut rester fidèle à la réalité. Il y a des personnage­s positifs autour de nous, certains ne comprennen­t pas dans quelle direction va le monde mais ils tentent malgré tout de rester cohérent avec leur conscience. Il faut prendre du temps pour écouter l’autre, ce que l’on fait de moins en moins.

Ça dit quoi sur la société roumaine actuelle ?

Ca parle forcément de ce qu’il se passe dans la Roumanie actuelle mais je parle surtout du monde d’aujourd’hui. On a tous ce problème d’intoléranc­e, de racisme. Là, on est dans l’intimité d’un petit village alors tout est rapidement public. Les gens qui vont regarder ce film ne doivent pas se persuader que cette situation n’existe qu’en Roumanie. Il faut avoir moins de clichés sur l’autre, moins de stéréotype­s.

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(Photo Mathieu Faure) Cristian Mungiu, sur la terrasse du Palais des Festivals.
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